Le 6 et 7 mars 2015, la première édition du Sadique-Master Festival aura lieu au cinéma Les 3 Luxembourg à Paris. Les organisateurs le présentent déjà comme « la première manifestation artistique à promouvoir intégralement le cinéma underground extrême, déviant, atypique, abrasif et bizarre en France », ajoutant que « le programme ne sera composé que de films indépendants pur sans aucune restriction, sans aucun tabou ». Les œuvres proposées sont listées avec un niveau d'interdiction : Pieces of Talent (Joe Stauffer, 2014) interdit aux moins de 16 ans, Carcinoma (Art Doran, 2014) interdit aux moins de 18 ans, Wound (David Blyth, 2010) interdit aux moins de 18 ans, Circus of the Dead (Billy Pon, 2014) interdit aux moins de 16 ans, Amateur Porn Star Killer (Shane Ryan, 2006) interdit aux moins de 18 ans, et Cross Bearer (Adam Ahlbrant, 2012) interdit aux moins de 16 ans. Or, en réalité... il n'en est rien !
Les six films n'ont en effet jamais été classés en France. Les restrictions indiquées se réfèrent donc, soit à une cotation décidée dans un pays étranger (Wound a ainsi été interdit aux mineurs en Nouvelle-Zélande et Amateur Porn Star Killer a été classé pornographique, donc interdit aux moins de 18 ans aux États-Unis), soit à un niveau d'interdiction décidé unilatéralement par un éditeur de DVD. Dès lors, ces films - que les organisateurs nous annoncent comme transgressifs, déviants et particulièrement extrêmes - ne disposant d'aucun visa (pourtant obligatoire pour une exploitation en salles), pourront-ils être malgré tout présentés légalement au public dans un peu plus d'un mois ?
Oui, à la seule condition d'obtenir un visa temporaire pour chacun d'entre eux si l'on se réfère à l'article 22-1 du décret du 23 février 1990 : « Les personnes qui prennent l'initiative et la responsabilité de la représentation publique d'une œuvre qui n'a pas été soumise à la procédure [normale] doivent obtenir un visa [...] valant autorisation de représentation de l’œuvre sur le territoire de la commune concernée pour une période maximale d'une semaine et pour un nombre de séances n'excédant pas six. [...] Cette demande de visa est accompagnée du synopsis détaillé de l’œuvre et, le cas échéant, d'une fiche récapitulant les mesures de restriction prononcées dans les pays où cette œuvre a fait l'objet d'une exploitation cinématographique. » Dans la pratique, le service des visas et de la classification du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) précise que les festivals sont exemptés d'une telle procédure pour les films n'ayant pas de visa, sauf si les organisateurs mettent en place une billetterie CNC. Dans ce cas, une simple déclaration par bordereau, pour chaque film projeté sans visa d'exploitation, est suffisante. Un transfert de responsabilité du CNC vers les organisateurs, notamment quant à la détermination de l'âge des spectateurs autorisés à assister aux projections.
On se souvient des déboires de La Meute (Franck Richard) au 63ème Festival international du film de Cannes en 2010 dont la projection, initialement programmée sur une plage en plein air, fut annulée au dernier moment par les organisateurs après que la Commission de classification ait envisagé de l'interdire aux moins de 16 ans. Le film avait finalement été diffusé à la presse le 15 mai, puis à un public âgé de plus de 16 ans au Palais des Festivals le 17 mai à 22 heures. A la lecture de la programmation sulfureuse du Sadique-Master Festival 2015, on ne peut qu'encourager les organisateurs à interdire l'accès aux salles à tous les mineurs - comme le fait par exemple le Forum des Images à l'occasion de séances frivoles telle la conférence de Christophe Bier organisée en juin 2013 sur le thème Le cinéma porno, un imaginaire sous surveillance - et ce, même si le risque de déconvenue reste limité. Toutefois, un jeune spectateur traumatisé par des images perturbantes peut toujours s'en plaindre à ses parents ou pire, au procureur de la République...