Mis à jour le 10 décembre.
Forte des succès rapides obtenus en janvier et février 2014, étant parvenue à faire réviser le niveau de classification des films Nymphomaniac volume 1 (l'interdiction aux moins de 12 ans devenant une interdiction aux moins de 16 ans) et Nymphomaniac volume 2 (l'interdiction aux moins de 16 ans devenant une interdiction aux moins de 18 ans) de Lars von Trier, on se souvient que, dans la foulée, l'association Promouvoir avait attaqué l'interdiction aux mineurs de 12 ans décidée par Aurélie Filippetti pour La Vie d'Adèle : chapitres 1 et 2 d'Abdellatif Kechich le 25 septembre 2013, en demandant la suspension du visa d’exploitation en tant qu'il n’interdit pas le film à tous les mineurs ou, à défaut, aux spectateurs de moins de 16 ans, se référant à l'appui de sa démonstration, à plus de sept minutes de scènes de sexe "réalistes" entre les deux personnages.
Saisi en référé, le tribunal administratif de Paris avait alors rejeté la requête de l'association le 17 février 2014, non pas sur le fond mais sur la forme de la contestation, le juge estimant à l'époque que l'urgence de l’article L.521-1 du code de justice administrative (le référé) invoquée par Promouvoir, n'était pas caractérisée comme nous l'expliquions sur ce blog le 5 mars 2014.
Poursuivant son action dans le cadre de la procédure normale, Promouvoir vient finalement d'obtenir de la cour administrative d'appel de Paris, qu'elle annule le visa ministériel autorisant la projection du film aux mineurs de 12 ans pourtant assorti d'un avertissement indiquant aux spectateurs que "plusieurs scènes de sexe réalistes sont de nature à choquer un jeune public".
Dans sa décision du 8 décembre 2015 (audience du 10 novembre), la Cour d'appel a estimé que La Vie d’Adèle, sorti en salles le 9 octobre 2013, qui raconte une passion amoureuse entre deux jeunes femmes, comporte "plusieurs scènes de sexe présentées de façon réaliste" qui justifient la protection "du jeune public". Se faisant, les juges estiment que la ministre "ne pouvait, sans commettre d’erreur d’appréciation" au regard de la loi, "accorder un visa d’exploitation comportant une interdiction limitée aux mineurs de 12 ans".
Autrement dit, la Cour administrative d'appel explique qu'après avoir elle-même identifié des "scènes de sexe réalistes [...] de nature à choquer un jeune public", la ministre devait en tirer les bonnes conclusions en protégeant nécessairement les jeunes spectateurs conformément à la mission qui lui est confiée depuis 2009, exposée à l'article L.211-1 du Code du cinéma, visant notamment à sauvegarder "l'enfance et la jeunesse". Par conséquent, les juges en déduisent que la ministre ne pouvait pas se contenter d'interdire La Vie d'Adèle aux seuls mineurs de 12 ans. Après avoir noté la contradiction entre la décision du ministre, notamment dans la motivation de sa décision de classification et le niveau d'interdiction finalement attribué, la Cour d'appel, après avoir évalué la nature des scènes litigieuses, annule le visa d
laissant deux mois à la ministre pour lui en accorder un autre avec un niveau de restriction supérieur sans toutefois indiquer si La Vie d'Adèle doit être interdit aux spectateurs de moins de 16, ou 18 ans.Dans son mémoire, l'association Promouvoir mentionne l'arrêt du Conseil d’État du 30 septembre 2015 à l'occasion duquel le juge, annulant l'interdiction aux moins de 16 ans du film Love (Gaspar Noé, 2015), a affirmé qu'un film qui comporte des scènes de sexe non simulées doit nécessairement être interdit aux moins de 18 ans en application de l'article R.211-12 du Code du cinéma et de l'image animée. Si dans sa décision la Cour d'appel ne reprend pas les termes de la décision du Conseil d'Etat, elle se réfère néanmoins à l'article 227-24 du Code pénal qui sanctionne, notamment, tout message à caractère pornographique susceptible d'être vu ou perçu par un mineur. La problématique de l'image à caractère sexuel et de sa perception par un mineur, est donc bien toujours au coeur du débat public et juridique.
Toujours est-il que le 8 décembre 2015, la Cour administrative d'appel fait état de la seule présence de "scènes de sexe réalistes" pour annuler le visa estimant qu'une interdiction aux moins de 12 ans, même avec avertissement, est insuffisante "pour dissuader les spectateurs les plus sensibles de voir le film". Dans ces conditions, convient-il de différencier une scène de sexe réaliste, d'une scène de sexe non simulée, d'une scène de sexe explicite, d'une scène de sexe à caractère pornographique ou bien au contraire, dans tous les cas, faut-il considérer qu'une scène de sexe (réaliste, non simulées, explicite, ou pornographique) reste une scène de sexe qui doit être systématiquement interdite à tous les mineurs ? Des questions importantes sur lesquelles travaille Jean-François Mary, le président de la commission de classification des oeuvres cinématographiques, afin de formuler des propositions concrètes à la ministre de la Culture d'ici au mois de janvier 2016, pour réviser - ou non - le dispositif réglementant les films contenant des scènes de sexe non simulées.
Si le Conseil d'Etat s'est hasardé, en septembre dernier, à livrer une définition des "scènes de sexe non simulées" nécessairement interdites aux moins de 18 ans - "des scènes qui présentent, sans aucune dissimulation, des pratiques à caractère sexuel" identifiées en considération "de la manière, plus ou moins réaliste" dont elles sont filmées - en les distinguant des scènes de sexe non simulées à caractère pornographique - selon "l'effet qu'elles sont destinées à produire" sur le spectateur -, la Cour administrative d'appel de Paris explique que des "scènes de sexe réalistes" - nécessairement interdites au plus de 12 ans (selon elle) -, sont des scènes "présentées de façon réaliste, en gros plan, [...] en plan-séquence, sans artifices, ni accompagnement musical, dans le but de leur conférer une plus grande intensité émotionnelle" excluant pour les spectateurs "toute possibilité de distanciation". Une dernière précision conforme au jugement du tribunal administratif de Paris qui, pour annuler l'interdiction aux moins de 12 ans décidée par la ministre pour Nymphomaniac volume 1, a estimé
que si le film de Lars von Trier ne présente aucun caractère pornographique, il ne peut être cependant pas être "visionné par un jeune spectateur sans culture cinématographique avertie".Fleur Pellerin ayant annoncé son intention de contester la décision de la Cour selon le journal Le Monde, le Conseil d'Etat devrait donc prochainement nous donner de nouveaux éléments et son avis sur cette nouvelle définition.