Maître André Bonnet et Jean-François Mary lisant ce blog occasionnellement, j'ai toujours un peu de scrupules à écrire sur un film dont le sujet et les images peuvent provoquer la polémique, et donc risquer de désigner une cible potentielle. Pourtant, la finalité de ce blog consiste à appeler l'attention du lecteur sur l'actualité de la censure au cinéma eu égard aux rumeurs, aux actions en justice, et aux difficultés rencontrées ou susceptibles d'être rencontrées par un cinéaste et son œuvre.
Six ans après L'Arbre et la forêt, Olivier Ducastel et Jacques Martineau, les réalisateurs de Jeanne et le garçon formidable, Drôle de Félix et Crustacés et Coquillages, reviennent sur les écrans le 27 avril 2016 avec Théo et Hugo dans le même bateau. La scène d'ouverture du film, qui a déjà soulevé l'indignation à l'étranger, risque d'engendrer les mêmes problèmes en France si la Commission n'interdit pas le film aux moins de 18 ans pour se conformer à la jurisprudence du Conseil d’État.
Selon Maxence Germain : "La scène de sexe dure une vingtaine de minutes avec en gros plans des vraies fellations, ce qui peut faire scandale chez certains. Son intensité reste pour la plupart de temps au même niveau et le public peut donc perdre patience vers la fin. Toutefois, ce choix est cohérent avec une esthétique réaliste. Après tout, le sexe n’est pas toujours comme dans le porno."
La scène d'ouverture, qui décrit la naissance du désir chez Théo et Hugo, est filmée de manière très explicite. Pour jouir de cette liberté de tout montrer, les réalisateurs se sont affranchis des circuits de financement traditionnels : "Cela ne nous a pas seulement offert une grande liberté, mais nous a aussi incités à aller au bout de nos idées : ça ne valait pas la peine de se mettre en marge si c’était pour produire à la fin des images édulcorées", explique Olivier Ducastel.
La bande annonce postée ci-dessous résume parfaitement l'histoire du film qui raconte la rencontre de Théo (Geoffrey Couet) et Hugo (François Nambot) dans un sex-club gay parisien. S'en suit alors une étreinte passionnée et sexuelle livrée à la vue des clubbers. Une scène de sexe non simulée, que nous n'avons pas vue, mais qui a entraîné l'intervention de la police au Mexique, comme le rapporte Florian Guardiole dans un article posté sur yagg.com le 18 mars dernier. En effet, ayant pourtant remporté le prix Premio Maguey le 10 mars 2016 au 31ème Festival international de cinéma de Guadalajara au Mexique, sa projection publique aurait provoqué l'intervention des autorités locales scandalisées par la scène de sexe explicite entre deux hommes proposée en gros plan. Rappelons que la société mexicaine s'interroge sur la représentation de l'homosexualité à l'écran comme nous vous l'avons rapporté la semaine passée sur ce blog.
En France, la Commission sera-t-elle influencée par la jurisprudence du juge administratif qui dorénavant ne lui laisse guère le choix, faute de modification du dispositif de classification des films, sachant que Promouvoir sera vraisemblablement en embuscade si le film n'est pas interdit à tous les mineurs ?
Actuellement en compétition au festival du film de Berlin, Théo et Hugo dans le même bateau sera présenté en France, en avant-première, le 14 avril prochain au Gaumont Opéra dans le cadre du Jeudi c'est Gay-Friendly.
Actualisation :
Réagissant à la publication de cet article, Stéphane du Mesnildot (Les Cahiers du Cinéma) s'interroge sur la page de son profil Facebook : "On se demande si la vraie question c’est l’interdiction aux moins de 18 ans ou le rejet par les distributeurs d’un film interdit aux moins de 18 ans, ce qui flingue encore plus sa carrière. Si je ne me trompe pas Querelle de Fassbinder (comme L’Empire des sens ou Emmanuelle) était interdit aux moins de 18 ans, comme plein d’autres films (les Fulci par exemple), ces films passaient absolument partout et ça ne posait aucun problème à personne. Ce qui posait un problème c’était de voir des films comme Mad Max être classés X ou d’autres totalement interdits."
Aujourd'hui en France, un film susceptible d'être interdit aux moins de 18 ou 16 ans aura des difficultés d'abord pour trouver des producteurs et ensuite, s'il est effectivement interdit aux mineurs de 16 ou 18 ans, pour trouver un distributeur hors le circuit spécialisé des salles art et essai. Si la profession tout entière du cinéma assumait cette possibilité, ce qui n'a rien de choquant ou d'infamant en soi, alors peut-être que les mentalités et les habitudes pourraient changer.
Ici, le problème se pose de savoir si la ministre interdira Théo et Hugo aux moins 18 ans, ou pas. Toutefois, la récente position du juge dans l'affaire Love ne lui laisse pas le choix : interdire le film aux spectateurs de moins de 18 ans ou bien se faire désavouer devant le juge puisque le Conseil d’État a affirmé qu'une scène de sexe dans un film impose dorénavant l'interdiction de l’œuvre à tous les mineurs.