Le British Board of Film Classification (BBFC) a interdit aux spectateurs de 18 ans, on s'en souvient, le très beau Elle (2016, Paul Verhoeven) pour sa « violence à caractère sexuel » alors que, dans le même temps, la France reste le seul pays au monde a l'avoir interdit aux moins de 12 ans malgré « des scènes de violence sexuelle entre les deux protagonistes et le climat général du film ». Qu'en sera-t-il de son long métrage suivant ?
Après le succès inattendu de Elle, le producteur Saïd Ben Saïd vient d'annoncer le tournage du prochain Verhoeven intitulé Sainte Vierge, ou Blessed Virgin à l’international, dont le premier rôle sera tenu par Virginie Efira. Une adaptation cinématographique signée Gerard Soeteman - le scénariste de La Chair et le sang, de Turkish Delight et Black Book - du roman Sœur Benedetta, entre sainte et lesbienne (Immodest Acts), de Judith C. Brown, qui raconte l'histoire vraie de Sœur Benedetta, nonne au destin assez exceptionnel qui osa évoquer des sujets tabous en plein XVIIe siècle. Un film susceptible de positionner l'association Promouvoir en embuscade, non plus sur le terrain de la violence ou la pornographie (quoique) mais sur celui de la religion, ce qui serait une première et ce, d'autant plus que l'affiche révélée cette semaine annonce clairement la couleur avec un visuel typographique en forme de Croix, et une religieuse laissant poindre son sein...
Ce n'est pas la première fois qu'une affiche s'attaque à la religion, alors que dit la jurisprudence ? Réponse tirée du livre Le contrôle cinématographique en France publié en 2015 chez L'Harmattan :
« Le principe, consacré par le juge judiciaire, gardien des libertés publiques, a été énoncé en 1984 à l'occasion de l'affaire de l'affiche du film Ave Maria, le président du tribunal de grande instance (TGI) de Paris expliquant que l'affiche décrivant une jeune femme crucifiée à la manière du Christ, la poitrine dénudée, « constitue un acte d'intrusion agressive et gratuite dans le tréfonds intime des croyances de ceux qui, circulant librement sur la voie publique, [...] se voient, hors de toute manifestation de volonté de leur part, nécessairement et brutalement confrontés à une manifestation publicitaire […] constitutive […] d'un trouble manifestement illicite ». Ainsi, dès lors qu'une affiche s'impose à la vue de tous, tant aux spectateurs qu'aux simples passants parfois mineurs, le trouble qu'elle est susceptible de provoquer peut justifier son interdiction d'affichage sur la voie publique. Jurisprudence constante confirmée en de nombreuses occasions. [...]
En février 2002, Monseigneur Ricard, président de la conférence des évêques de France, et de nombreuses associations religieuses demandent au même tribunal l'interdiction de l'affiche du film Amen de Costa-Gavras, représentant une croix chrétienne prolongée sur trois branches par celles d'une croix nazie. Examinant la requête, le juge des référés déboute les demandeurs au motif qu'une « lecture ouverte de l'affiche permet d'y découvrir une volonté de briser la croix nazie, symbole du totalitarisme, et de replanter en terre, comme pour la réhumaniser, la Croix que continue à porter toute une communauté ».
Déjà en 1997, l'AGRIF et diverses associations familiales avaient demandé que la société Columbia retire l'affiche du film Larry Flynt de Milos Forman, représentant le magna du porno crucifié sur un pubis voilé par un bikini. A l'époque, leur avocat se lance dans une quête de lettres et de pétitions auprès des évêques catholiques et orthodoxes, des pasteurs et le recteur de la Mosquée de Paris. En justice, le tribunal correctionnel de Paris rejette la demande d'interdiction de l'affiche, considérant qu'elle ne constitue pas « un outrage flagrant aux sentiments religieux des requérants ». Finalement, Milos Forman a remplacé l'affiche décriée par une autre (un gros plan du personnage principal, une bannière étoilée apposée sur la bouche en guise de bâillon) « compte tenu de l'incompréhension suscitée et de la récupération qui en a été faite par diverses associations politico-religieuses », demandant à Columbia Pictures, « dans un souci d'apaisement et pour faire échec à toute récupération, de procéder au retrait volontaire de cette affiche » pourtant supposée « refléter le traitement satirique des thèmes du film : patriotisme feint, piété hypocrite, nudité-marchandise ».
En avril 2014, craignant de rencontrer de graves déconvenues avec la communauté catholique, Amel Lacombe, le distributeur français du film belge Au Nom du Fils, qui raconte la vengeance de la mère d'un garçon de 14 ans qui se suicide après avoir été abusé sexuellement par un prêtre, décide de modifier l'affiche du film pour son exploitation en France : « Certains exploitants m'ont laissé entendre que le climat ''manif pour tous'' n'était pas très propice à ce genre de films. […] Nous l'avons utilisée [l'affiche] en province avant que notre afficheur parisien ne souligne son caractère potentiellement blasphématoire. Nous en avons donc fait faire une troisième, plus sobre » afin de « de ne pas faire de provocation et de donner au film un maximum de visibilité ».
Sainte Vierge est peut-être un avant-goût du film que promet Paul Verhoeven depuis des années : l'adaptation à l'écran de son essai intitulé Jésus de Nazareth, publié Aux forges de Vulcain le 2 avril 2015, dans lequel il nie la filiation divine de Jésus : « N'étant pas croyant moi-même, j'ai essayé de démêler le vrai du faux entre les différents récits concernant Jésus. Toutes sortes de versions des faits sont disponibles dans les Écritures, qui n'ont pas toutes été écrites à la même époque et dont aucune n'émane de témoins directs. Les évangiles, par exemple, ont été écrits quarante ans après la mort du Christ », avait-il déclaré à Caroline Vié pour 20minutes.fr, et d'ajouter : « Jésus n'était pas un dieu, mais un guérisseur et un meneur d'hommes. » La couverture française du livre est sans équivoque, le Christ y étant représenté... en Che Guevara ! Le réalisateur hollandais de 76 ans s'explique : « Les deux avaient beaucoup de points communs. Ils voulaient le bien des autres et ont été trahis puis exécutés pour leurs idées. […] Pour moi, Jésus n'est pas une divinité mais un guérisseur à l'état d'esprit assez proche des résistants pendant la Seconde Guerre mondiale. Il avait un côté terroriste et c'est pour cela qu'il est mort. Il dérangeait les Romains dont il mettait l'hégémonie en péril. » Outre son interprétation très personnelle de la vie de Jésus, Paul Verhoeven va plus loin encore, en décrivant la première scène du livre qu'il souhaiterait adapter au cinéma : un gros plan sur les pieds d'un crucifié s'ouvrant progressivement sur une forêt de croix, avant que Marie soit brutalisée par un soldat, un viol qui expliquerait la conception de Jésus... Un scénario très contestable qui tient pourtant à cœur du cinéaste : « Je compte réaliser le film en Europe car aux États-Unis, je me ferais massacrer », plaisante-t-il.
Un projet de délocalisation du financement et du tournage (éventuels) qui n'est pas sans rappeler l'affaire de La Dernière tentation du Christ (1988), qui avait conduit Martin Scorsese à réaliser l'adaptation du roman de Níkos Kazantzákis (1955) en France. On se souvient aussi que sa sortie avait alors provoqué un vent de protestations et de violences dans le monde entier.