Agnès Varda vous a-t-elle déjà parlé de censure ?

Elle m’a ému aux larmes. Son érudition et son humilité m’impressionnent encore. Quelle femme incroyable ! Une plasticienne unique, une auteure géniale, une photographe reconnue et bien évidemment, une cinéaste de talent. Et son talent est immense ! Comme sa simplicité, il est inversement proportionnel à sa taille. Je me suis intéressé à cette petite bonne femme, drôlement coiffée, à ses œuvres et à sa parole, bien trop tardivement.

C’est souvent comme ça avec moi, et depuis des années. Lorsque je commence enfin à m’intéresser à un artiste qui jusque là n'est parvenu à m’arracher qu’un seul et bref regard, il s’arrange toujours pour mourir dans les années qui suivent, presque volontairement, comme s’il voulait me punir d’avoir attendu si longtemps pour m’arrêter vraiment, pour que je prenne le temps de l’écouter, de le regarder, de chercher à le comprendre. Stanley Kubrick me l’a fait payer cher. Dans un autre registre, Alain Bashung et David Bowie m’ont également fait le coup.

Agnès s’est amusée à faire la même chose, un jour triste de mars 2019. Sans doute pour me dire qu’elle ne comprenait pas que l’on puisse attendre la sortie des Plages pour enfin obtenir toute l’attention qu’elle mérite. Et dire qu’elle m’avait donné un signe en 1987 lorsque, marchant sur le boulevard Edgard Quinet à Paris, Agnès était là, avec Jane, à quelques mètres seulement, en train de tourner Jane B. par Agnès V. J’ai posé un regard, un seul, bref, et j’ai passé mon chemin.

Agnès Varda m’avait pourtant donné des gages, en se frottant à la censure. « Le Bonheur a été victime d’une interdiction aux moins de 18 ans. Produit par l’ORTF en 1970, Nausicaa est un téléfilm conçu comme une fiction documentaire dédiée aux exilés grecs fuyant la dictature des colonels. Interdit à la demande expresse des ministères des Affaires étrangères et de l’Économie, Nausicaa est un spectre dans la filmographie de la cinéaste et un seul fragment en subsisterait visible dans Les Plages d’Agnès. » Ah Les Plages ! Encore elles, décidément. Quand je vous dis qu’elle se venge à sa façon. La censure chez Agnès Varda, c’est aussi un sketch que l’on ne verra pas dans Loin du Vietnam de Chris Marker. Et puis il y a « Réponse de femmes […] un ciné-tract suspendu de diffusion par Antenne 2 parce que des téléspectateurs mâles se sont offusqués d’y voir sur leur écran domestique une femme enceinte et nue. »

Nous sommes bientôt le 29 mars. Voilà deux années que je pense souvent à vous depuis votre départ en ballons si joliment mis en scène par JR, un artiste formidable que j’ai trouvé si attachant à vos côtés dans le magnifique Visages, Villages. Lui, je ne le lâche plus, je vous le promets.

Les Plages sont désormais posées sur un des murs de ma maison. Agnès, elle, est en moi pour toujours.

Toutes les citations sont tirées de l’article de Saad Chakali publié dans le 66ème numéro de la très belle revue de cinéma Éclipses « Agnès Varda. Le bonheur cinéma » éditée en 2020.