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CENSURE & CINEMA

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Collection Darkness, censure et cinéma


La cour administrative d’appel de Paris rejette le recours de l’association Stop au Porno formé contre le visa interdisant Benedetta aux -12 ans

Publié par darkness-fanzine.over-blog.com sur 17 Février 2022, 10:53am

Catégories : #censure, #interdiction, #Stop au Porno, #Pornostop, #Benedetta, #cour administrative appel paris

Sur son site, l’association PORNOSTOP qui communique sous le nom de Stop au Porno, créée et présidée par François Billot de Lochner en avril 2018, explique vouloir « combattre la pornographie et la pornographisation globale et galopante de la société » au regard de ses « effets délétères sur le corps et l’esprit ». Si officiellement son objet social consiste, notamment, à « conduire et développer des actions d'intérêt général à caractère familial et éducatif consistant à lutter contre toute forme de violence pornographique, tout risque d'exposition des mineurs à la pornographie en ligne et sur tout autre moyen de communication accessible au public », sa communication en ligne est plus claire puisqu’elle se fixe pour objectif de « sensibiliser le public, secourir les porno-dépendants et combattre les promoteurs de contenu pornographique ». Un périmètre d’intervention aussi large que varié dont les actions visent également le cinéma.

Après avoir menacé d’attaquer en justice le visa d’exploitation de Mektoub my Love : Intermezzo (Abdellatif Kechiche, 2019) si le film n’était pas interdit aux moins de 18 ans – à ce jour, il n’est jamais sorti ni en salles, ni ailleurs –, après avoir recueilli plus de 348 000 signatures en septembre 2020 pour que Netflix France ne diffuse pas Mignonnes (Maïmouna Doucouré, 2020), « un film où des petites filles de 11 ans sont hypersexualisées », Stop au Porno a fait part de sa ferme intention de former un recours contre le visa autorisant Benedetta (Paul Verhoeven, 2020) aux spectateurs de plus de 12 ans, une autorisation délivrée par la ministre de la Culture après avis de la Commission de classification motivant sa proposition « à l'unanimité en raison de nombreuses scènes violentes montrant des sévices et des actes sadiques ainsi que quelques scènes explicites à caractère sexuel ». Un niveau d’interdiction manifestement insuffisant pour l’association qui « s'attache à la protection de l'enfance et plus généralement du grand public ». Observons que le film a été totalement interdit en Corée du Sud et à Singapour, qu’il est interdit aux mineurs en Nouvelle-Zélande, en Australie, aux Philippines, au Chili, en Pologne, en Russie et au Brésil, qu’il est interdit aux moins de 16 ans en Suisse, aux Pays-Bas, en Allemagne, au Portugal et en Espagne. Comme bien souvent, la France demeure le seul pays au monde où la restriction d’exploitation est la moins élevée, ce dont se félicitent certains mais ce que d’autres dénoncent.

En juillet 2021, François Billot de Lochner qualifie Benedetta de « mélange de pornographie et de blasphème que les spectateurs doivent supporter pendant deux longues heures », et déclare avoir écrit à Roselyne Bachelot. Il précise effectivement dans son courrier du 22 juillet que Benedetta « banalise ostensiblement la violence sexuelle » et demande à la ministre « d’enjoindre le Centre national du cinéma et de l’image animée de réévaluer l’interdiction de représentation aux mineurs de douze ans » conformément à ses « pouvoirs de police en matière culturelle » [sic], préconisant a minima une interdiction aux moins de 16 ans. Si de toute évidence le recours gracieux adressé tardivement au ministre fait référence à l’article R.211-9 du Code du cinéma qui dispose que « le ministre a la faculté de demander à la commission de classification un nouvel examen », Roselyne Bachelot a déjà pris sa décision… le 2 septembre 2020 !

Une annonce qui intervient presque simultanément avec la mise en ligne, sur citizengo.org, d’une pétition demandant à Jérôme Seydoux pour Pathé, co-producteur et distributeur du film, de retirer sans délai le film des écrans français :

« Dans ce film que l’on peut qualifier de film pornographique lesbien, la religieuse Benedetta est une religieuse mystique, sulfureuse dans son couvent et qui s’adonne à de nombreuses scènes pornographiques lesbiennes avec une autre jeune religieuse lesbienne, Batolomea… Mais ce n’est pas tout, les producteurs de ce film - seulement interdit aux moins de 12 ans - mettent en avant une scène où les “religieuses” s’adonnent à des scènes sexuelles avec une statuette de la Vierge-Marie comme objet sexuel. De nombreuses scènes sont choquantes et ne se contentent pas de s’inspirer d’une histoire partiellement vraie, mais bien de salir une nouvelle fois le catholicisme et de banaliser la pornographie (et homosexuelle) au plus grand nombre et auprès des plus jeunes. »

Si le film reste en salles et fait près de 327 000 entrées en France, la pétition rassemble près de 300 000 signataires.

Le 24 janvier 2022, François Billot de Lochner confirme à ses soutiens avoir engagé une action en justice, confondant pour l’occasion le conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA, qui aujourd’hui a fusionné avec la haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI) pour devenir l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) le 1er janvier 2022, laquelle n’est pas compétente pour classer les films en salles) et la commission de classification des œuvres cinématographiques (qui en réalité n’émet qu’un avis consultatif adressé au ministre de la Culture, seul compétent pour décider du niveau de restriction d’un film au cinéma) ou encore le Conseil d’État (qui n’examine plus en premier ressort les décisions ministérielles de classification) avec la Cour administrative d’appel de Paris (qui elle, est compétente depuis décembre 2018) :

« […] Nous avons saisi le CSA pour qu’il fasse son travail, et interdise, a minima, le film aux moins de seize ans. Le CSA nous a répondu en quelques lignes qui ont dû lui demander des centaines d’heures de réflexion : circulez, il n’y a rien à voir ! Comme nous pensons qu’il y a quelque chose à voir, nous avons attaqué le CSA en justice devant le Conseil d’État, et l’audience est fixée au 1er février prochain. Cette audience est pour nous capitale, car elle nous permettra de mesurer la capacité de l’État à mettre des limites au fléau pornographique qui submerge notre société. »

Dans son mémoire du 21 janvier 2022, l’association fait valoir à l’appui de sa requête « le réalisme et l’accumulation des scènes de sexe et de violence » dont « la nudité des acteurs [...] ouvertement, gratuitement et complaisamment portée à l’écran, parfois pendant de longues minutes », ajoutant que « certaines scènes de nudité frisent le ridicule et le grotesque par leur inutilité et ne semblent avoir été intégrées au sein du film que pour satisfaire les fantasmes personnels du réalisateur, à défaut de pouvoir être justifiées par un quelconque intérêt scénaristique ». Plus loin, elle ajoute que « la représentation anatomique poussée, impudique et blasphématoire du Christ en croix, dépourvu de sexe, atteste une nouvelle fois l’obsession du réalisateur pour la nudité et la représentation des parties génitales – et ici de leur absence – à l’écran, avec la parfaite conscience que cette scène blessera et choquera les croyants mais ne peut en outre qu’être gravement troublant pour la sensibilité d’un enfant de 12 ans auquel ce film est à ce jour accessible ».

Deux scènes de sexe sont plus particulièrement ciblées. La première, « d’une durée supérieure à 3 minutes, est dérangeante de réalisme et de recherche du moindre détail. Sont successivement représentés à l’écran des massages mutuels sur les seins et parties génitales, une pénétration à l’aide du doigt de la partenaire – à qui il est demandé d’aller plus loin encore et qui donne ensuite son index à lécher – et, enfin, un cunnilingus provoquant la jouissance du protagoniste. Le réalisme des images, qui dépasse amplement le domaine de la suggestion, est évidemment incompatible avec une quelconque représentation auprès de mineurs ». La seconde de plus d’une minute, « n’a pour d’autre objet que de mettre en scène la pénétration de Virginie Efira par un godemichet sculpté dans une statuette de la Vierge Marie, à l’aide de sa partenaire. Il s’agit là d’une scène violemment blasphématoire pour des croyants en profanant la pureté de la femme la plus vénérée de l’histoire ». Maître Jérôme Triomphe, l’avocat de l’association, se réfère alors à l’article R.211-12 du Code du cinéma pour conclure que « ces scènes de sexe, longues, réalistes et répétées, sont incompatibles avec toute représentation auprès de mineurs ».

Argument supplémentaire, les scènes « de grande violence dont le film est jalonné » et qui « n’ont rien à envier au réalisme et à la crudité des scènes de sexe », sont elles aussi décrites avec minutie telles celle « de la tentative de viol de la protagoniste qui se solde par une décapitation sanglante, la fente d’un crâne à l’aide d’une épée et une tentative de mutilation », celle « du suicide d’une religieuse suivie de sa toilette mortuaire, est tout aussi déconcertante de réalisme », ou encore la séquence finale du meurtre du Nonce de Florence « représenté avec un niveau de détail poussé et un rare degré violence que renforcent la vue des plaies et l’abondance du sang en ruisselant ».

Stop au Porno demande en conséquence qu’il plaise à la Cour de bien vouloir annuler « la décision implicite de refus de la ministre de la Culture de réévaluer la classification » du film qu’elle estime « disproportionnée au regard des exigences tenant à la protection de l’enfance et de la jeunesse », et interdire la projection aux spectateurs de moins de 18 ans considérant que « le caractère réaliste et répété des très nombreuses scènes de grande violence et de sexe », lesquelles « ne sont pas indispensables au bon déroulé du scénario », « démontre amplement les troubles conséquents susceptibles d’être causés sur la sensibilité des mineurs » sans qu’il puisse être possible d’évoquer ni l’objet de l’œuvre, ni la durée, ni leur place dans la narration ni même les conditions de réalisation desdites scènes » pour en atténuer la portée.

Le 15 février 2022, la cour administrative d’appel de Paris rejette le recours pour excès de pouvoir formé par l’association après avoir rappelé les dispositions relatives à la classification des films précisées par le Code du cinéma, considérant que si la Commission a relevé de « nombreuses scènes violentes montrant des sévices et des actes sadiques », ces scènes, « de la manière dont elles sont filmées, ne présentent pas la violence sous un jour favorable et ne la banalisent pas ». Si la Commission a en outre relevé « quelques scènes explicites à caractère sexuel », et si ces scènes, bien que simulées, présentent un caractère d’un réalisme indéniable, elles sont filmées sans intention dégradante. Enfin, ces deux séries de scènes s’insèrent de façon cohérente dans la trame narrative globale de l’œuvre, d’une durée totale de plus de deux heures, inspirée de personnages et d’évènements historiques réels, dont l’ambition est de dépeindre le caractère passionné d’une relation amoureuse entre deux jeunes femmes et l’hostilité à laquelle elles se sont heurtées dans la société italienne du XVIIe siècle. »

Il convient d’observer que le juge administratif ne se prononce pas sur l’atteinte supposément portée à la foi des croyants et ne relève pas davantage le caractère « blasphématoire » de la scène dite du godemichet. Pour la petite histoire, notons que malgré le changement de titre opéré par le distributeur russe, Benedetta - re-titré La Tentation (Искушение) -, qui devait sortir le 7 octobre 2021, a finalement été interdit par Olga Lioubimova, la ministre de la Culture, pour avoir enfreint les lois protégeant « les croyants et la pratique de la religion ».

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