On découvre avec stupéfaction la tribune publiée par Louis Dussault, président de la société de distribution K-Films Amérique, après l’interdiction aux moins de 16 ans du film de fiction Noémie dit oui (Geneviève Albert, 2022) décidée par la direction des services aux entreprises et du classement des films du ministère de la Culture et des Communications (MCC) du Québec le 5 avril 2022 et confirmée en appel par le comité de révision le 14 avril.
Le film est à l’affiche des cinémas québécois depuis le 29 avril dernier.
Noémie dit oui, qui est le premier long-métrage de Geneviève Albert, raconte avec crudité le parcours de la jeune Noémie, 15 ans, de l’abandon familial au centre jeunesse, de la fugue dans les bras d’un proxénète jusqu’à la prostitution. « Geneviève Albert a voulu faire de son film une expérience sensorielle. ‘Après une scène avec un client, on comprend ce qui se passe dans la prostitution, après 15 scènes, on le ressent’, résume-t-elle. Le but est atteint et la mission, accomplie. Après 15 clients qui défilent et qu’on supporte sans désir, on ne rêve que de fuir, comme Noémie, en hurlant la tête au vent, vers un ailleurs incertain », explique Caroline Monpetit sur ledevoir.com. Et c’est bien la dureté et l’enchaînement de toutes ces séquences qui ont posé problème, y compris celle montrant « un groupe de jeunes proxénètes se jettent sur une poupée gonflable et usent d’elle sans réserve, avant de la faire exploser avec un revolver. »
Dans une décision rédigée comme un jugement, Carole Paradis, la présidente du comité de révision, commence par énoncer la position des parties :
« Madame Geneviève Albert indique aux membres du Comité qu’elle a effectué des recherches approfondies sur la prostitution des jeunes filles mineures et qu’elle a réalisé un film hyperréaliste qui se veut un outil pour éviter aux jeunes filles de tomber dans ce piège. Elle souhaite apporter un contrepoint aux images glamour qui valorisent et glorifient la prostitution, et qui sont diffusées sur différentes plateformes Internet. Elle affirme que son film s’adresse précisément à la tranche d’âge de 13 à 15 ans, car selon une étude qu’elle a consultée, l’âge moyen d’entrée dans la prostitution juvénile est de 14 ans. Elle ajoute que Noémie dit oui se termine sur une note d’espoir et que le message ultime est qu’il est possible de ‘se choisir’ et de se sortir de cet enfer. »
Patricia Bergeron, productrice, et Louis Dussault, distributeur, sont ensuite entendus. Ils expliquent que « ce film contient une ‘violence difficile, mais nécessaire’ », qu’il « doit être vu par le plus grand nombre pour permettre une conscientisation sociale », et qu’il s’agit « d’une œuvre essentielle, ayant une portée universelle, qui cherche à préserver les adolescentes des conséquences de la prostitution ».
Après avoir examiné ces arguments, le Comité entend la position de Mesdames Bouchard et Larouche, les examinatrices-classificatrices de première instance, lesquelles observent que :
« Même si Noémie dit oui ne glorifie pas la prostitution et évite d’érotiser l’adolescente, il contient tout de même une accumulation de situations sexuelles étalées crûment et sans répit pendant le tiers du film. Une quinzaine de relations sexuelles apparaissent dans des situations où le consentement de Noémie est vicié, de même que trois viols. Il s’agit d’un catalogue détaillé de gestes, de positions et de pratiques sexuelles souvent sordides et perverses. En outre, le climat de violence physique et psychologique caractérise une bonne partie de l’œuvre. Selon leur évaluation, la représentation crue de la sexualité dans ce qu’elle a de plus malsain pourrait déstabiliser les jeunes adolescents qui n’en sont pas à ce stade de leur développement sexuel, puisque l’âge moyen de la première relation sexuelle, selon le ministère de la Santé et des Services sociaux, est de 16 ans. »
A l’issue d’une délibération, le comité de révision décide de rejeter l’appel formé après avoir noté que si « la majorité des activités sexuelles sont suggérées et se déroulent dans le hors-champ », que si « Noémie dit oui pourrait faire œuvre utile auprès d’une clientèle vulnérable qui risque de faire de mauvais choix et que ce film pourrait prévenir les jeunes filles de moins de 16 ans des conséquences de la prostitution », « les intentions pédagogiques louables de l’œuvre ne sauraient diminuer l’impact des images sur la majorité des adolescentes et des adolescents, car la diffusion de Noémie dit oui dépassera largement les cadres éducatifs. La mission du ministère est de classer un film pour l’ensemble de la population et pas seulement pour une clientèle à risque. Les membres du comité de révision du classement des films concluent que la majorité des jeunes spectateurs de 13 à 15 ans n’ont pas encore acquis les outils nécessaires pour absorber la surenchère d’images troublantes et assimiler le traitement cru proposé dans le film Noémie dit oui, et que cela pourrait ébranler leur développement. »
Une décision contestée par Louis Dussault qui écrit :
« Vous ignorez la jeunesse comme si c’était une entité abstraite relevée dans les statistiques alors que les jeunes aujourd’hui dès l’âge de 13 ans connaissent leurs premières expériences sexuelles, et surtout, mais surtout, puisque c’est le propos du film, que c’est à cet âge qu’elles sont recrutées pour devenir escortes puis de jeunes prostituées. C’est le premier public du film puisqu’il est la première cible des proxénètes, et il nous est refusé de le leur montrer au cinéma, alors que dans quelques mois cette jeune clientèle pourra le voir sur plateforme, le louer en DVD, le voir, par la suite à la télévision publique. Je rajouterai que ce film exceptionnel s’apprécie au cinéma, il a été réalisé à cet escient et il nous est interdit par la Loi de le montrer aux moins de 13 ans et plus. Que voilà encore une autre totale inadéquation avec la réalité, et votre refus de rabaisser l’âge à 13 ans n’est rien d’autre qu’un geste de pure censure morale. […] Je croyais la censure abolie au Québec… mais les censeurs veillent. »