On apprend que le gouvernement fédéral du Nigeria a demandé à l’industrie cinématographique de Nollywood d’arrêter de montrer des scènes de crimes rituels à l'écran afin de ne pas influencer la jeunesse. Rappelons qu'en février 2022, le parlement nigérian avait déjà affirmé que « la lutte contre les meurtres rituels était une urgence nationale » après la mort d’une femme de 20 ans dans l’État d’Ogun, situé dans le sud-est du Nigéria. Une affaire sordide au cours de laquelle certains des meurtriers avaient déclaré s’être inspirés de films après leur interpellation.
Comment cette interdiction est-elle comprise trois mois plus tard ? Pour Bukki Agbaminoja, qui préside le Censorship Council de Lagos, il est indispensable de protéger les jeunes spectateurs :
« On regarde le caractère artistique du film sans le dénaturer, de quoi parle-t-il et comment rejaillit-il sur la société ? Nous vérifions ensuite s'il contient des scènes de représailles lorsque qu'un personnage commet un crime rituel, et s’il y a des sanctions, s'il est puni. Ces films nous posent un sérieux problème parce que les jeunes pensent que ces pratiques permettent de devenir riche rapidement. »
Il faut dire en effet, que la presse rapporte régulièrement des affaires de meurtres rituels, de corps démembrés et d’organes prélevés sans doute pour être revendus.
Selon Confidence McHarry, analyste et membre du cabinet de conseil en sécurité SBM Intelligence, censurer Nollywood ne mettra pas fin aux meurtres rituels : « On ne peut pas légiférer comme ça, car c’est un problème économique. Les meurtres rituels ont commencé dans les années 1980-90 avec la montée de la pauvreté. Si vous voulez protéger la jeunesse, vous devez d’abord restaurer l’économie nigériane », déclare-t-elle tout en pointant du doigt « l’inaction de la police » : « De nombreuses jeunes filles kidnappées et utilisées pour des rituels disparaissent sans que la police ne fasse quoi que ce soit. Le seul moment où un meurtrier est arrêté, c’est lorsqu’il est retrouvé en possession des organes, mais il est alors déjà trop tard. »
Comme beaucoup de réalisateurs et de producteurs nigérians, Usman Uzee ne comprend pas cette mesure :
« On veut raconter ce qui se passe au Nigeria, puisque la plupart de mes films montrent la réalité, je fais partie des personnes concernées par cette interdiction. J’aimerais que le gouvernement comprenne que nous pouvons raconter nos histoires à travers des films pour équilibrer les choses. C’est comme dire que les films américains sont la source du vol ou du crime aux États-Unis. Les films sont là pour montrer ce qui se passe dans la société, on ne peut pas continuer à mentir. Il faut dire les choses telles qu’elles sont : les meurtres rituels existent parce qu’il y a beaucoup de pauvreté dans la société, la jeune génération est lésée et au chômage. »
Malgré l’interdiction des meurtres rituels dans l’industrie de Nollywood, Usman Uzee, connu pour son film Oga Abuja (2015), se concentre désormais sur des films racontant des drames familiaux.