La sortie de The Lady of Heaven (2022) a provoqué la colère de fondamentalistes musulmans en Grande-Bretagne au début du mois de juin, ces derniers qualifiant le film d’Eli King de « blasphématoire » et d'« irrespectueux » envers l’islam. Interdit en Iran, en Égypte et au Pakistan où il a été qualifié de « sacrilège », The Lady of Heaven est un film dramatique britannique projeté sur les écrans du Royaume-Uni depuis le 3 juin 2022, qui mêle deux intrigues en parallèle. La première raconte celle de Laith, un enfant irakien qui a perdu sa mère tuée par l'État islamique. Dans le foyer qui le recueille, une femme âgée lui conte alors l'histoire de Fatima Zahra, la fille de Mahomet. Le long-métrage revient alors sur les débuts de l'islam et montre plusieurs proches du Prophète tel Ali, l’époux de Fatima mais également le premier imam chiite, dont les visages éblouissants ont été générés par ordinateur. Une représentation du Prophète jugée inacceptable.
Selon ses détracteurs, le long-métrage, produit en 2019, déforme la vérité historique et sème le trouble dans la communauté musulmane entre sunnites et chiites. Un scénario « mensonger » écrit par Yasser Al-Habib, un Koweïtien chiite exilé au Royaume-Uni depuis 2005 après avoir été condamné dans son pays natal à de la prison pour avoir insulté des compagnons du Prophète et Aïcha, sa jeune épouse.
Pour sa part, le conseil musulman de Grande-Bretagne, la plus grande organisation de coordination des musulmans du Royaume-Uni, a qualifié le film de « source de discorde » : « Nous soutenons les érudits et les dirigeants qui plaident pour une plus grande unité et pour le bien commun. Il y en a certains - y compris de nombreux partisans de ce film ou ceux qui s'engagent dans le sectarisme dans leur réponse - dont le but premier est d'alimenter la haine. » Un message qui reste sibyllin.
Sous la pression, confronté à une foule hostile et à une pétition mise en ligne qui a déjà rassemblé plus de 120 000 signataires, le gérant d’un cinéma de Sheffield, après avoir d’abord déprogrammé le film durant une semaine, a finalement choisi de le retirer de l’affiche. Le communiqué de la direction du groupe Cineworld auquel il est affilié, précise que la décision a été prise pour « assurer la sécurité de nos équipes et des clients ». Une position identique à celle appliquée par un cinéma Blackburn situé au nord de Manchester.
Une situation singulière qui a fait réagir certains politiques jusqu’à la Chambre des Lords. Claire Fox, qui siège en tant que Baronne Fox de Buckley, a ainsi déclaré : « Les arguments de la cancel culture du type "Je trouve cela offensant" sont maintenant utilisés bien plus largement que par les seuls militants dans les campus. C’est désastreux pour l’art, dangereux pour la liberté de parole et une leçon pour ceux qui affirment que les revendications identitaires ne sont pas une menace pour la démocratie. »
« Cette initiative artistique parle d’histoire et de religion, des sujets qui sont toujours confrontées à des interprétations différentes », explique Malik Shlibak, le producteur : « C’est normal et même très sain. Nous en sommes satisfaits et nous encourageons les gens à s’exprimer, qu’ils soient pour ou contre le film. Ce que nous ne pouvons supporter en revanche et contre quoi nous nous opposons fermement, c’est ce que les opposants essaient de faire : censurer ceux qui ne pensent pas comme eux et imposer ce que nous pourrions ou ne pourrions pas voir dans ce pays. »
Si les cinéma Vue, les concurrents directs de Cineworld, ont affirmé ne pas avoir renoncé à proposer le film à Londres et dans le sud-est de l’Angleterre, la direction n’a cependant pas démenti la déprogrammation constatée dans certaines de leurs salles, se contentant d’indiquer que Vue « prend au sérieux les responsabilités qui sont les siennes pour proposer un large choix de films présentant un intérêt particulier pour diverses communautés à travers le Royaume-Uni », ajoutant que « seuls les films approuvés par le British Board of Film Classification (BBFC) y sont projetés », dont The Lady of Heaven, interdit aux moins de 15 ans en raison de scènes particulièrement gore et violentes « dont un plan décrivant un cœur arraché et mangé par une femme » ou encore un autre durant lequel une autre femme est traînée au sol, menacée avec un pistolet sur la tête, puis abattue froidement.
Au Maroc, le Centre cinématographique marocain (CCM) a interdit un film jugé « contraire aux constantes du Royaume » après l'avis du Conseil supérieur des Oulémas condamnant « fermement son contenu », et affirmant « son rejet catégorique de la falsification flagrante de faits établis de l’histoire de l’Islam. Cette falsification des faits, qui porte atteinte à l’Islam et aux musulmans, est rejetée par tous les peuples, parce qu’elle ne sert pas leurs intérêts supérieurs entre les nations, particulièrement en ces temps ».