Après avoir été présenté en avant-première durant la 72e édition du festival international du film de Berlin, après avoir déjà rapporté près de 100 millions de yuans (pour 2 millions de budget) grâce au seul bouche-à-oreille, on apprend la déprogrammation soudaine des cinémas chinois et la disparition des plateformes de vidéos en ligne, de Return to Dust (Le Retour des hirondelles, 隐入尘烟, Li Ruijun, 2022) qui raconte la vie difficile d’un couple de paysans dans un village du nord-ouest du pays. La mention du film sur Weibo, un peu l'équivalent chinois de Twitter, a même été interdite.
Stéphane Lagarde observe : « C’est une Chine que l’on voit rarement à l’écran. La Chine des campagnes, et ici en l’occurrence celle de paysans construisant leur maison en terre, labourant leur parcelle avec un âne... Celle aussi du combat quotidien contre l’absurdité et l’arbitraire qui peut parfois traverser la société chinoise. Outre le fait de rappeler aux mégalopoles de verres et d’acier d’où elles viennent, ce qui a frappé les spectateurs, c’est le réalisme des situations et des personnages. » En racontant l'histoire fictive de ce jeune couple de la Chine rurale, vivant dans une pauvreté appartenant à un autre siècle, en marge de la société moderne, confronté aux intérêts privés d’un homme riche qui veut les chasser au volant d’une voiture de luxe, le réalisateur met en avant sur grand écran, l'écart gargantuesque qui existe entre les classes sociales en Chine. Un constat édifiant sur les ruptures, économique et géographique, qui n’est évidemment pas au goût de tous.
L'incroyable succès populaire de Return to Dust, qui a pourtant passé l'épreuve de la censure, a donc fini par faire réagir les autorités à quelques jours seulement du Vingtième congrès national du Parti communiste chinois, lesquelles ont finalement décelé une volonté manifeste de « noircir la vie des agriculteurs chinois » auprès des étrangers. Un « travestissement de la réalité » jugé inacceptable, qui vaut au film son interdiction totale.
Avant que Return to Dust ne disparaisse définitivement des écrans, notons que les censeurs auraient fait ajouter un carton à la fin du film, de manière à rassurer les spectateurs sur la "destinée heureuse" du couple d’agriculteurs, selon The Economist, même si les copies que l’on peut trouver sur Internet - que les pouvoirs publics tentent désespérément de faire supprimer pour « atteinte au droit d’auteur » - proposent une version complète, sans aucun avertissement.