Après l'annulation du visa d'exploitation de Saw 3D : chapitre final en mai dernier, Camille a souhaité revenir sur l'affaire sur son blog hébergé par L'Express :
Ils auraient pu s’attaquer à Saw 6, dont le titre autorisait tous les calembours indécents. Mais c’est à Saw 3D, film-boucherie sorti il y a 5 ans, que le Conseil d’État vient de sucrer le visa d’exploitation sous les coups de boutoir de Promouvoir, une association dont le but inavoué semble être de se substituer à la commission de classification des films.
J’ai interrogé Christophe Triollet, auteur du récent "Le contrôle cinématographique en France" , une somme sur l’histoire du contrôle du sexe, de la violence et de la religion au cinéma.
Des le début du cinéma, le sexe a été censuré : le premier film de baiser filmé et censuré date d’un an après la création du cinéma. Pour la violence, c’est arrivé quand ?
En même temps que l’invention du cinéma, les hommes ont mis en scène des ébats amoureux, parfois très crus. La violence à l’écran est apparue à peu près au même moment, même si au commencement sa forme n’a pas eu le même aspect que celui qu’on lui prête aujourd’hui. En 1895, la projection du film de Louis et Auguste Lumière, Arrivée d’un train en gare de La Ciotat, a ainsi provoqué la peur des spectateurs qui craignaient que la locomotive ne sorte de l’écran pour foncer droit sur eux. La violence au cinéma a d’abord été suggestive même si dès 1929, Luis Buñuel et Salvador Dali ont montré en gros plan, avec un réalisme incroyable, Simone Mareuil se faire placidement trancher un œil au rasoir laissant couler l’humeur vitrée dans Un chien andalou.
On voit que c’est la même association (« Promouvoir ») à l’origine du retrait du visa de Saw 3D cette année et de Baise-moi en 2000. Mais si la bible dit « tu ne tueras point », les groupes religieux s’attaquent-ils autant à la violence qu’au sexe à l’écran ?
En France, certains groupes de pression religieux veillent tout particulièrement aux messages véhiculés à l’écran. Il faut distinguer les groupes qui agissent lorsque leur foi est atteinte, je pense aux actions menées contre les films La Dernière tentation du Christ (1988, Martin Scorsese) ou La Passion du Christ (2004, Mel Gibson) ; et les associations qui défendent des valeurs morales parfois associées à la religion. Dans ce dernier cas, il existe l’association Promouvoir, bien sûr, mais aussi d’autres groupes très actifs tels l’institut Civitas ou encore la fondation Citizengo qui ont fait parler d’eux lors d’actions conduites contre le film Tomboy au nom de la lutte contre la théorie du genre.
Promouvoir est partout dans votre livre. Qui sont-ils ? Comment l’association est-elle financée ?
L’association Promouvoir, créée en 1996 par un magistrat à la retraite, a pour objet de promouvoir « les valeurs judéo-chrétiennes, dans tous les domaines de la vie sociale ». Selon ses statuts, l’association milite notamment en faveur « de la dignité de l’homme, de la femme et de l’enfant, et se propose à ce titre de faire obstacle au développement de l’ensemble des pratiques contraires à cette dignité, parmi lesquelles l’inceste, le viol, l’homosexualité, la pornographie ou l’embrigadement par les sectes ». Au cinéma, l’association n’a de cesse d’attaquer les décisions ministérielles autorisant l’exploitation de films interdits aux mineurs de 16 et 18 ans lorsque les œuvres présentées au public contiennent une ou plusieurs scènes de sexe explicites, ou de la violence, exigeant du ministre et du juge, une interdiction totale ou, pour le moins, un classement sur la liste des films à caractère pornographique ou incitant à la violence.
L’attaque menée en 2000 contre le film Baise-moi a incontestablement été une très grande victoire pour l’association, tout comme celles lancées contre Ken Park, Antichrist ou les deux volets de Nymphomaniac en 2014. Avec l’annulation du visa d’exploitation de Saw 3D : chapitre final obtenue en mai 2015 (la décision a été rendue publique par le Conseil d’État en juin), Promouvoir vient de remporter une nouvelle bataille sur le terrain des films de « très grande violence ». En effet, à l’instar du sexe, le juge exige dorénavant du ministre que la violence au cinéma fasse plus systématiquement l’objet d’une interdiction aux moins de 18 ans lorsqu’elle dépasse certaines limites, plus précisément, lorsqu’un film contient des scènes de « grande violence ». Mais toutes ces notions restent peu claires, car comment différencier un film violent (interdit aux mineurs de 12 ans), d’un film de grande violence (interdit aux moins de 16 ans), d’un film de très grande violence (interdit aux moins de 18 ans), d’un film d’incitation à la violence (interdit aux mineurs de 18 ans et classé X), d’un film de violence extrême ou de violence gratuite ?
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