Après avoir examiné une seconde fois le documentaire Salafistes en assemblée plénière, hier dans la soirée, la Commission de classification n'a finalement pas changé l'avis initialement formulé le 21 janvier dernier. Fleur Pellerin a donc décidé de suivre la proposition d'interdire le film aux spectateurs de moins de 18 ans avec avertissement. La ministre de la Culture et de la Communication s'en explique longuement dans un communiqué mis en ligne le 27 janvier 2016 à 13 heures :
« Après un premier avis de la commission de classification des œuvres cinématographiques préconisant une interdiction aux moins de 18 ans avec avertissement du film Salafistes, les réalisateurs François Margolin et Lemine Ould Salem ont souhaité modifier leur film et solliciter par conséquent un nouveau visa. Cette version ayant été transmise hier en milieu de journée, la commission s’est réunie le soir-même. Elle s'est, à nouveau et à une large majorité, prononcée en faveur d'une interdiction aux moins de 18 ans, assortie d’un avertissement. Compte tenu du parti pris de diffuser sans commentaires des scènes et des discours d’une extrême violence, j'ai décidé de suivre l'avis de la commission. En tant que ministre de la Culture et de la Communication, mon rôle lors de la délivrance du visa d’exploitation de toute œuvre cinématographique est de respecter le travail de l’auteur qui est le seul responsable de son œuvre, tout en ayant à chaque fois à l’esprit la nécessaire protection de la jeunesse. Ce film sera donc interdit aux moins de 18 ans, avec avertissement. Le visa est en cours de délivrance. »
Une position qui ressemble étrangement aux propos d'un responsable de France Télévisions, coproducteur du documentaire, que nous rapportions hier :
« Notre ligne éditoriale est claire, les images produites par Daesh sont de la propagande et nous ne les montrons pas à l’antenne. [...] Nous ne mettons pas en cause les intentions des réalisateurs et nous savons bien qu’ils ne sont pas dans la complaisance, mais nous pensons ce sujet doit être traité différemment. Ici, il n’y a pas de recul, d’explication, de décryptage. Le problème n’est pas le sujet mais son traitement. »
Le nouveau montage réalisé in extremis par François Margolin n'aura donc pas suffi à adoucir la position de la Commission, la ministre et le producteur étant finalement tombés d'accord sur la dangerosité du film pour les jeunes spectateurs. Ce que précise la motivation de l'avertissement accompagnant le visa d'exploitation du documentaire :
« Ce film qui donne sur toute sa durée et de façon exclusive, la parole à des responsables salafistes, ne permet pas de façon claire de faire la critique des discours violemment anti-occidentaux, anti démocratique de légitimation d’actes terroristes, d’appels au meurtre d’infidèles présentés comme juifs et chrétiens, qui y sont tenus. Les images parfois insoutenables soutiennent ces propos en dépit de la volonté des réalisateurs de les utiliser en contre-point. Pour ces raisons une interdiction aux mineurs de moins de 18 ans assortie de l’avertissement suivant est indispensable. »
Comme nous l'expliquions hier sur ce blog, la ministre n'avait pas d'autres choix que d'interdire a minima le film à tous les mineurs pour se conformer aux dispositions de l'article 227-24 du Code pénal qui sanctionne, notamment, « le fait [...] de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme [...] susceptible d'être vu ou perçu par un mineur ». De ce fait, en décidant de restreindre la projection en salles de Salafistes aux mineurs de 18 ans sur la base de l'article R.211-12 du Code du cinéma et de l'image animée autorisant une telle interdiction « lorsque l'œuvre ou le document comporte des scènes [...] de très grande violence », Fleur Pellerin a donc estimé que les discours djihadistes et les images d'exécutions et de mutilations, correspondaient davantage à des scènes de très grande violence (la ministre parle de scènes et de discours « d'une extrême violence ») qu'à une incitation à la violence prévue par l'article 11 de la loi du 30 décembre 1975 qui surtaxe les œuvres rangées dans cette catégorie, excluant de ce fait l'intention coupable des réalisateurs (ce que dit la Commission dans son avis : « Les images parfois insoutenables soutiennent ces propos en dépit de la volonté des réalisateurs de les utiliser en contre-point. »).
La décision d'interdiction aux mineurs est-elle suffisante ?
Dans l'éditorial de l'édition du quotidien Le Figaro du 27 janvier que nous reproduisons ci-dessous, Yves Thréard appelle à l'interdiction totale du film en salles :
« Ce n'est ni un film, ni un reportage. […] Il est révoltant de constater que France Télévisions ait coproduit Salafistes, donc financé l'innommable avec l'argent public. Quant au gouvernement, il serait bien inspiré d'en interdire l'accès aux salles de cinéma, car la liberté d'expression n'autorise pas les appels aux meurtres et à la terreur. »
Un film qu'il n'a sans doute pas vu, mais une position partagée avec le représentant du ministère de l'intérieur siégeant à la Commission de classification lors du premier examen du documentaire, si l'on en croît l'information rapportée par Télérama, celui-ci estimant que le film est passible de poursuites judiciaires sur le fondement de l'article 421-2-5 du Code pénal qui incrimine l'apologie du terrorisme. Une option qui pourrait être examinée par une juridiction pénale si toutefois une plainte était déposée dans les prochains jours. Si la ministre n'a pas fait ce choix politique, l'avertissement de la Commission qui accompagne la délivrance du visa qui sera présenté au public, peut sérieusement nous laisser penser que la proposition d'interdiction totale aurait pu être faite : « Ce film contient des propos et des images extrêmement violents et intolérables, susceptibles de heurter le public ». Des propos et des images finalement tolérés pour des spectateurs adultes... à la condition qu'il y en ait !
Que va-t-il se passer ?
Si aujourd'hui seules deux salles parisiennes ont choisi de le programmer, on peut d'ores et déjà considérer que la carrière de Salafistes au cinéma est terminée, tout comme son exploitation à la télévision, d'une part parce que France 3 a annoncé sa ferme intention de ne pas le diffuser et, d'autre part, parce que l'interdiction aux mineurs décidée aujourd'hui l'empêche d'être diffusé autrement que sur une chaîne cryptée et dans certaines conditions, à l'instar des films pornographiques.
A cet instant, plusieurs scénarios possibles :
nous l'avons dit, une action judiciaire pour apologie du terrorisme est introduite devant le juge pénal pour demander l'interdiction totale du film et la condamnation des ayants droit ;
un recours est formé devant le juge administratif pour contester le niveau d'interdiction du visa. Le distributeur Margo Cinéma peut ainsi estimer qu'une interdiction aux moins de 16 ans était suffisante ou bien au contraire, une association ou un particulier ayant intérêt à agir peuvent estimer que le niveau d'interdiction est insuffisant et réclamer l'interdiction totale.
Il convient donc désormais d'attendre les réactions.