Comme annoncé sur ce blog samedi dernier, Audrey Azoulay, la ministre de la Culture et de la Communication a reçu le lundi 29 février 2016, le président de la Commission de classification des œuvres cinématographiques qui lui a remis un rapport de 37 pages sur « la classification des œuvres cinématographiques relative aux mineurs de seize à dix-huit ans ».
Comme le précise le communiqué de presse publié aujourd'hui, « la ministre a décidé d’engager une réforme des textes en vigueur afin d’assurer la meilleure protection possible du jeune public. Il s’agit, d’une part, d’adapter les critères qui encadrent actuellement l’interdiction aux mineurs de dix-huit ans pour conforter le rôle et élargir le pouvoir d’appréciation de la Commission de classification […]. Il s’agit, d’autre part, d’engager une réflexion visant à simplifier les voies de recours pour réduire les délais de la procédure devant la justice administrative pour assurer la détermination de la classification d’un film. »
Après une première partie retraçant l'histoire de la classification des films en France, et livrant l'analyse de la problématique née de la jurisprudence récente de la justice administrative, Jean-François Mary formule des propositions concrètes qui s'appuient sur une concertation menée avec les membres de la commission de classification, des représentants du monde du cinéma, des spécialistes de la protection de la jeunesse et des pédopsychiatres, ainsi qu’avec les administrations intéressées. Votre serviteur a eu l'honneur d'être entendu à cette occasion. Le rapport s'achève sur le « souhait qu’une concertation s’organise entre le CSA et les professionnels » pour assurer une cohérence entre le niveau des interdictions prononcées par la Commission pour des œuvres cinématographiques projetées en salles, et celui décidé par les chaînes de télévision pour les mêmes œuvres, parfois plus sévère.
Les propositions du président de la Commission impliquent une modification de l'article 227-24 du Code pénal, et une modification de l'article R.211-12 du Code du cinéma et de l'image animée.
La modification de l'article 227-24 du Code pénal
Après avoir utilement précisé que le « juge pénal n’a pas eu à connaître de plaintes dirigées contre des films projetées dans les salles de cinéma, du fait du régime d'autorisation préalable et spécifique du cinéma, qui porte, de fait, le contentieux devant les juridictions administratives », Jean-François Mary souligne néanmoins qu'en « l'état actuel du droit, le risque d'actions pénales contre des œuvres cinématographiques existe ». Par conséquent, il propose d'ajouter un dernier alinéa à l'article 227-24 du Code pénal ainsi rédigé : « Pour la caractérisation des messages mentionnés au premier alinéa, il est tenu compte de l’intention ou de la démarche artistiques de son auteur, ainsi que des éventuel les mesures administratives délivrées en vue ou à l’occasion de sa diffusion. » Pour justifier sa proposition, M. Mary cite le sculpteur et plasticien Olivier Blanckart lequel, avec beaucoup d'humour, expliquait dans un article publié dans le journal Le Monde du 28 septembre 2015 :
« Il est pourtant facile de comprendre qu’une représentation sexuelle — un phallus en érection par exemple — n’a pas la même signification symbolique suivant qu’il sera « perçu » couvrant le chef d’un taureau ailé assyrien au British Museum, porté en gloire par la foule dans un Temple Shintô au Japon, détaillé savamment dans un amphi d’urologie, ou représenté par Mapplethorpe dans une galerie d’art , ou dans les vestiaires d’un sauna, ou à la sortie d’une école maternelle. »
Notons aussi que si la proposition que nous formulions sur ce blog - visant à exclure certaines œuvres du champ d'application de l'article, dont les œuvres cinématographiques, lorsqu'il existe un régime spécifique de protection de la jeunesse - est mentionnée dans le rapport, elle est écartée par Jean-François Mary eu égard au risque « que le Conseil constitutionnel estime qu'il n'est pas possible de soustraire de façon aussi absolue l'activité d’exploitation du cinéma en salles à toute sanction pénale », mais aussi parce que la « délimitation aujourd’hui entre ce qui est du domaine de l’art et ce qui n’en relève pas soulève de redoutables questions et l’on ferait jouer au juge pénal un rôle qui n’est sans doute pas le sien s’il lui revenait de tracer cette frontière. » Pourtant, la proposition formulée ci-dessous laissant au juge administratif le soin de définir la « justification de caractère esthétique des scènes de sexe ou de grande violence » semble tout aussi risquée.
La modification de l'article R.211-12 du Code du cinéma
Après avoir écarté l'hypothèse de suppression de tout critère pour l'interdiction aux mineurs du 4° de l'article R.211-12 du Code du cinéma - instauré en 2001 après l'affaire Baise-moi, lequel prévoit, rappelons-le, une interdiction aux moins de 18 ans sans inscription sur la liste des films à caractère pornographique ou incitant à la violence « lorsque l’œuvre ou le document comporte des scènes de sexe non simulées ou de très grande violence mais qui, par la manière dont elles sont filmées et la nature du thème traité, ne justifient pas une telle inscription » -, parce que cette solution risquait d'offrir à l'autorité administrative « la possibilité de prendre la mesure de classement la plus sévère pour d’autres motifs que ceux liés au sexe et à la violence » ; le président Mary propose de réécrire l'article en « tenant compte de la récente jurisprudence du Conseil d’État sur les films Love et Saw 3D », en y ajoutant même une nouvelle restriction visant les mineurs de 14 ans.
L'interdiction aux moins de 14 ans
Le président Mary explique que « l’introduction d’une restriction à quatorze ans permettrait d’introduire une plus grande liberté d’appréciation, car le choix est souvent délicat lorsque le risque est de viser trop bas à douze ans et trop haut à seize ans ». Les différents niveaux de restriction à la libre représentation d'une œuvre seraient donc les interdictions aux -12 ans, aux -14 ans, aux -16 ans, aux -18 ans, aux -18 ans avec classement X, et l'interdiction totale. Un niveau de restriction supplémentaire qui éloigne encore davantage le cinéma du dispositif mis en place pour la télévision - lequel comporte les interdictions aux -10 ans, aux -12 ans, aux -16 ans, et aux -18 ans -, donc de la volonté de cohérence affichée dans la toute dernière partie du rapport. Un palier qui, en outre, risque d'alimenter un nouveau contentieux pour discuter de l'opportunité d'interdire un film aux moins de 12 ans plutôt qu'aux mineurs de 14 ans.
La réécriture de l'article R.211-12 du Code du cinématographique
La nouvelle rédaction de l’article R. 211-12 proposée par Jean-François Mary introduit l'interdiction aux spectateurs de 14 ans, et modifie les critères d'interdiction aux mineurs de la manière suivante :
"Le visa d'exploitation cinématographique s'accompagne de l'une des mesures de classification suivantes, en fonction du trouble que l’œuvre ou le document est de nature à produire sur la sensibilité des personnes mineures :
1° Autorisation de la représentation pour tous publics ;
2° Interdiction de la représentation aux mineurs de douze ans ;
- 3° Interdiction de la représentation aux mineurs de quatorze ans ;
4° Interdiction de la représentation aux mineurs de seize ans ;
5° Interdiction de la représentation aux mineurs de dix-huit ans, lorsque l’œuvre ou le document comporte sans justification de caractère esthétique des scènes de sexe ou grande violence qui sont de nature, en particulier par leur accumulation, à troubler gravement la sensibilité des mineurs, à présenter la violence sous un jour favorable ou à la banaliser."
Selon Jean-François Mary, la création du 5° (qui modifie l'actuel 4°) « continuerait d’énoncer un critère seulement pour le niveau de classification le plus élevé. Il appartiendrait toujours à la Commission et au ministre chargé de la Culture d’élaborer une doctrine pour les critères de classification des niveaux inférieurs ». En outre, le remplacement du critère de « scènes de sexe non simulées » par celui de « scènes de sexe » prend en compte le développement des techniques numériques de mise en scène, « une scène peut être tout à fait explicite à l’écran tout en ayant été simulée lors du tournage ».
Notons que le projet de révision de l'article ne parle plus de « scènes de très grande violence » mais de « scènes de grande violence », et laisse au ministre, à la Commission et au juge, le cas échéant, le soin d'apprécier l'absence de justification de « caractère esthétique » des « scènes de sexe ou de grande violence » susceptibles de troubler gravement la sensibilité des mineurs. Il n'est pas certain que les professionnels du cinéma voient d'un bon œil le juge s'immiscer dans la sphère artistique lorsqu'il lui faudra définir le caractère esthétique de telles scènes au sein d'une œuvre de cinéma. Pas certain non plus qu'une telle rédaction facilite le travail des tribunaux et protège efficacement les artistes des recours de l'association Promouvoir laquelle, soit-dit en passant, n'est pas citée une seule fois dans le corps du rapport.
La simplification des voies de recours
Le rapport note enfin que les importants délais de la procédure ont conduit les organisations professionnelles à réclamer « la modification de l’article R 311-1 du code de justice administrative, afin que le Conseil d’État redevienne compétent en premier et dernier ressort pour connaître des recours relatifs aux visas d’exploitation des œuvres cinématographiques. » L'exemple du film La Vie d'Adèle, sorti en salles en 2013, dont le visa a été annulé par la cour administrative d'appel de Paris en décembre 2015, illustre cette demande, tout comme les contradictions relevées dans la position des juges à chaque stade de la procédure.
Constatant que cette « situation n’est guère surprenante tant il est difficile au juge d’appliquer les règles de classification sans se référer à ce que certains juristes appellent des ''expressions normatives caractérisées par l’absence de toute prédétermination et l’impossibilité de les appliquer sans procéder au préalable à une appréciation ou à une évaluation'' », Jean-François Mary propose, soit de confier au Conseil d’État le contentieux du visa d'exploitation, comme cela était le cas avant 2010, soit de « laisser le tribunal administratif de Paris juge en premier et dernier ressort de ces affaires et de supprimer la voie de l’appel pour n’ouvrir que la faculté de saisir le Conseil d’État, juge de cassation ».
Les propositions devraient donc être reprises ou modifiées (ou écartées) dans les prochaines semaines par la ministre de la Culture, celle-ci déclarant que de telles modifications peuvent se faire « en quelques mois ». Cependant, il n'est pas certain que le gouvernement souhaite lancer un nouveau débat sur la modification du très controversé article 227-24 du Code pénal à un peu plus d'une année de l'élection présidentielle. Une réécriture de l'article R.211-12 du Code du cinéma, sans doute. Une modification de l'article 227-24 du Code pénal, on verra...
Le rapport est disponible en cliquant le lien : ICI.
Le discours de la ministre de la Culture est disponible : ICI.
Les premières réactions du monde du cinéma sont favorables, telle celle de la société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) qui a mis en ligne le communiqué suivant :
« La SACD accueille avec satisfaction les propositions du rapport remis ce jour par Jean-François Mary, président de la Commission de classification des films à Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication, pour réformer les conditions d'interdiction des films aux moins de 18 ans.
La proposition tendant à réviser le Code du cinéma pour élargir le pouvoir d'appréciation de la Commission de classification est, en particulier, très positive. Les marges de liberté ainsi données à la Commission pour apprécier l'impact qu'un film peut avoir sur les mineurs seront de nature à mieux tenir compte de la singularité des films.
Par ailleurs, la Commission repose sur une composition équilibrée qui assure une présence de tous les ministères concernés et une juste représentation des professionnels de l’enfance et du cinéma. C'est la garantie d'un processus de décision ouvert, transparent et pluraliste.
La volonté de la ministre de donner rapidement une traduction réglementaire aux préconisations de Jean-François Mary, issues d'une concertation approfondie à laquelle la SACD a contribué, est un signal très positif pour mettre un terme aux dérives observées récemment du fait de jurisprudences très restrictives en matière de liberté d'expression et de diffusion.
L'engagement pris de réfléchir à une simplification des voies de recours pour réduire les délais de la procédure devant la justice administrative est aussi une décision qui va dans le bon sens.
Ces mesures offrent une réponse adaptée et cohérente pour concilier la protection du jeune public, la garantie d'un large accès des films aux salles et aux publics et la préservation du droit pour les créateurs d'exprimer des points de vue et des regards originaux parfois dérangeants, iconoclastes ou radicaux. »