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CENSURE & CINEMA

CENSURE & CINEMA

Collection Darkness, censure et cinéma


Le e-cinema : nouvelle forme de distribution ou alternative aux conséquences économiques d'une restriction d'exploitation en salles ?

Publié par darkness-fanzine.over-blog.com sur 24 Juin 2016, 09:28am

Catégories : #e-cinema, #black, #welcome to new york, #made in france, #wild bunch, #censure, #cinéma

Mis à jour le 26 juin 2016.

Le e-cinema : échappatoire pour films polémiques ?

Après avoir commenté la sortie française en e-cinema du film belge Black (2015, Adil El Arbi et Bilal Fallah) dont la projection à Bruxelles en novembre 2015 avait provoqué des violences, Antoine Katerji pose une question intéressante dans un article mis en ligne le 23 juin 2016 sur rue89.nouvelobs.com : « Le e-cinéma est-il un purgatoire pour les films polémiques ? »

Après Welcome to New York (2011, Abel Ferrara) et Made in France (2014, Nicolas Boukhrief), c'est donc au tour de Black, un film interdit en France aux moins de 16 ans en raison d'une « scène de viol longue et complaisamment filmée », de sortir directement en e-cinema. Une décision réfléchie prise par Paname Distribution que nous vous rapportions sur ce blog le 18 février dernier. A l'époque, le distributeur français affirmait sur son compte Facebook que « l’interdiction du film […] aux moins de 16 ans par la Commission de classification » ainsi que les « réticences des exploitants de cinéma à le programmer dans le contexte actuel » l'avaient finalement poussé à annuler sa sortie en salles.

Au moment de la sortie en e-cinema de Welcome to New York en avril 2014, on se souvient que dans un entretien accordé au journal Le Monde, Vincent Maraval et Brahim Chioua (Wild Bunch) avaient expliqué qu'ils « voulaient tenter [...] une expérience de distribution en ligne » pour contrer la réglementation française qui oblige à attendre quatre mois après la sortie d'une œuvre sur grand écran pour la diffuser en vidéo : « Quand on voit que 4h44, Dernier jour sur Terre - le dernier film d'Abel Ferrara - a fait 20000 entrées en salles et 3 millions de vues sur YouTube, ça fait réfléchir. » Une position officielle qui dissimulait aussi à l'époque la crainte d'une action en justice des avocats de DSK ou d'Anne Sinclair pour empêcher la « sortie publique » du film.

Concernant Made in France, Pretty Pictures avait finalement dû renoncer à une sortie en salles après les polémiques nées du visuel de l'affiche placardée sur les murs de la Paris au moment des attentats de novembre 2015, le communiqué de presse du distributeur précisant que « suite à des difficultés de programmation en salles liées au sujet du film, Made in France de Nicolas Boukhrief » sortirait via TF1 Vidéo « à partir du 29 janvier exclusivement en e-cinéma sur toutes les plates-formes VOD ».

Mais le e-cinema, c'est quoi ?

Dans un article intitulé « Le e-cinema, c'est quoi ? » publié sur le site telerama.fr en juillet 2015, Bruno Icher expliquait que selon les professionnels du secteur en France, le e-cinema est d'abord une réponse économique cohérente à l'encombrement des salles. « Les salles sont victimes de leur succès. Cela peut apparaître comme un paradoxe mais, en dépit des sommets atteints par le box office en France depuis plusieurs années, il y a une autre réalité qui fait que, sur les presque 700 films qui sortent sur les écrans chaque année, une grande majorité d'entre eux souffre. Cela tient à la concurrence, avec des semaines à près de vingt sorties simultanées, et, par conséquent, à une exposition très courte. Aujourd'hui, un film qui a mal démarré lors de sa sortie est pratiquement sûr de voir sa carrière s'achever au bout de deux semaines. », précise Tristan Du Laz , directeur adjoint de TF1 Vidéo qui cible prioritairement les « 80 % des foyers français [...] équipés en haut débit ». Une position partagée par Thierry Lacaze, directeur de la distribution chez Wild Bunch, pour lequel le e-cinema est aussi une alternative pour de « nombreuses productions à fort potentiel mais pour lesquelles une sortie en salles est très risquée ».

Si le e-cinema semble donc parfaitement adapté à l'exploitation de films susceptibles de provoquer un scandale public ou dont l'exploitation risque d'être contrainte par son niveau d'interdiction, c'est avant tout le moyen de limiter les coûts et les risques, certains distributeurs préférant désormais proposer la location d'un film à un tarif proche de celui du prix d'une place de cinéma (de 7 à 8 euros), TF1 Vidéo offrant même la possibilité d'acheter définitivement le film pour 12,99 euros, comme cela se pratique déjà aux États-Unis.

Alors, le e-cinema est-il l'avenir du cinéma français de genre face à la frilosité des offres de financement de la télévision française ? L'avis (pas neutre) de Vincent Maraval publié sur le site lexpress.fr le 26 juin 2016 :

Qu'est-ce qui a changé depuis votre tribune ?

Pas grand-chose. La mesure qui refuse d'accorder l'avance sur recettes à un film si le cachet de l'acteur est trop élevé est inapplicable, puisque cette aide est généralement réservée aux projets qui, justement, n'engagent pas des stars. C'est une loi de maquillage. Mais mon article était surtout consacré à la production. On est aujourd'hui dans une économie du préfinancement, où toute la profession se gave avant même le tournage, notamment grâce aux obligations des chaînes, qui doivent investir dans le cinéma. Du coup, le financement va à des films peu risqués.

Le cercle vertueux du financement français se pervertit donc petit à petit...

Oui, et les producteurs aussi sont responsables. Monter un film de genre français, c'est quasi mission impossible. Il y a quinze ou vingt ans, il y avait encore Les Rivières pourpres ou Le Pacte des loups. Ils ont marché, mais Arsène Lupin ou Vidocq, non. Résultat: ce type de projets a disparu. Comme les films de Claude Berri Germinal ou Uranus. Ils faisaient pourtant de 4 à 5 millions d'entrées en salles et étaient rentabilisés. En ce moment, on essaie d'aider un producteur, Why Not, à monter le film de Pierre Schoeller, le réalisateur de L'Exercice de l’État, sur la Révolution française. Il faudrait de 25 à 30 millions d'euros, mais le financement plafonne. On ne peut plus faire ce pari audacieux.

Où est-ce que ça coince ?

Il y a d'abord un lobby très fort chez les producteurs. Cela arrange la profession de passer moins de temps sur le scénario pour que le film coûte moins cher. Le film à 4 ou 5 millions formaté pour la télé est facile à financer avec une ou deux têtes d'affiche. Ce système est paresseux et entraîne une uniformisation.

Faut-il changer les règles de Canal+ qui consistent à investir 20 % du chiffre d'affaires de la chaîne dans le préachat de films ?

Non, le principe est assez vertueux. Si le cinéma d'auteur est tellement diversifié, c'est quand même grâce à Canal+. Tant que Bolloré utilise une fréquence publique, il ne partira pas. Je ne crois pas à la fermeture de la chaîne. Si c'était le cas, Amazon ou Netflix seraient ravis de reprendre la fréquence et de se plier aux obligations. Il faut donc juste assouplir les contraintes et inscrire l'achat de films dans les obligations. Ce qui ferait également entrer des investisseurs privés dans le jeu. Il n'y a finalement pas de diversité dans le cinéma français: on ne voit pas de films d'action, d'horreur ou catastrophes. Tout cela demande une véritable politique culturelle; elle n'existe pas.

Et il n'y en aura pas d'ici à l'élection présidentielle ?

Non, bien sûr. Puisqu'il n'y a aucune volonté politique de soutenir la grandeur culturelle de la France, on laisse les gamins devant Cyril Hanouna. Le manque de reconnaissance que ressentent les jeunes est dû au désert de la politique culturelle. Rien ne nous rend fiers. Après les années Lang-Mitterrand, il n'y a rien eu. L'enseignement de la culture à l'école est un fiasco. Tout devrait commencer là. On a dévalorisé la culture et elle manque à la jeunesse.

Faut-il définitivement désacraliser la salle de cinéma ?

Aux César, Claude Lelouch s'est prononcé pour la sacralisation de la salle. Je ne suis pas d'accord, même si je préfère voir des films sur grand écran. Lorsque les films sortent en même temps en salles et en VOD [vidéo à la demande], donc directement sur Internet, le nombre de tickets vendus ne baisse pas. Les entrées se concentrant sur les blockbusters, les films d'auteur n'existeront plus demain si on ne leur donne pas la possibilité de toucher un autre public.

La manière de consommer les films est en train de changer et il faut sans arrêt innover. Les gamins ne vont plus en salles, alors que ce public constitue le cœur dans les pays émergents. Il faut se demander comment les toucher. Jeune provincial, je lisais toutes les revues de cinéma, qui me parlaient de films que je ne pouvais pas voir. Je connais donc ce problème d'accessibilité et cette frustration. Il faut amener des films partout dans le monde, rapidement et à n'importe qui.

Grave, film qui met en scène une étudiante cannibale, a séduit les studios américains, à Cannes. Le marché hexagonal, lui, est plus frileux.

Quels sont vos arguments pour convaincre la profession ?

Le marché américain est redevenu dynamique sur l'art et essai grâce aux sociétés de VOD. A Cannes, on a vendu Grave, un film cannibale, à Focus Features, et La Tortue rouge, un film d'animation, à Universal. Ces studios s'intéressent maintenant à des prototypes, car le marché a changé. Ils ont recréé une économie que la France se refuse à comprendre.

J'entends ce discours: "Il y a trop de films produits." Non: il y a trop de films produits pour être exploités de la même manière. On doit pouvoir adapter la sortie d'un film en fonction de son potentiel et le placer, en salles ou sur une plate-forme de VOD. Au cas par cas. Que les ayants droit, c'est-à-dire le producteur et le distributeur, aient vraiment des droits. En cinquante ans, j'ai vécu huit morts du cinéma: arrivée de Canal+, du home cinéma, du câble... Il est toujours là.

Que faut-il encore changer ?

Si Canal+ ne veut pas d'un film, celui-ci ne pourra être diffusé par une autre chaîne, par exemple TF1, D8 ou M6, avant un certain temps. La distribution indépendante pousse à réduire ce temps de diffusion entre chaîne cryptée et chaîne en clair. Je suis plus radical: faire disparaître toute chronologie entre les médias. Aujourd'hui, les films de superhéros sur Canal+ ne font pas d'audience, car les gamins les ont déjà piratés. La loi est anachronique. Ce discours commence à passer. Je suis optimiste. Le principe va voler en éclats avec le prochain gouvernement. Même s'il est de gauche. La situation est intenable. L'avantage de la droite, c'est qu'elle n'est pas fascinée par les puissants, Bolloré, Seydoux, Pinault et les autres. La gauche, si.

Quels garde-fous faut-il préserver ?

Aucun. On a toujours un train de retard par rapport aux autres pays. Après avoir annoncé que nous sortions Welcome to New York, d'Abel Ferrara, en VOD, nous avons eu des demandes d'exploitants que cela ne gênait pas. Tout le monde n'est donc pas hostile. Sur la durée, le film n'a pas fait loin de 200000 vues et, puisque les frais de sortie étaient moindres, l'économie est positive. Mais, par mesure de rétorsion, Canal+ n'a pas acheté le film. Trois ans plus tard, la chaîne acquiert Les Enquêtes du département V, thriller danois de Mikkel NØrgaard, que nous avons sorti en e-cinéma...

Welcome to New York (2014), avec Gérard Depardieu dans le rôle de DSK, n'est sorti qu'en VOD. Depuis, le film a pratiquement atteint 200000 vues.

Comment se porte l'e-cinema, justement ?

Les chiffres ne sont pas très bons. Nous avons raté quelque chose après Welcome to New York; il aurait fallu proposer d'autres films immédiatement. L'habitude n'a pas été prise. Il y avait 100000 personnes prêtes à continuer. Les Enquêtes du département V font entre 25000 et 30000 vues. Il faut créer l'habitude. Prévoir cinq ou six sorties par mercredi, ce qui désengorgerait les salles. Et pousser la presse à en parler. Mais ça grimpe doucement. TF1 s'y est mise. En gros, à moins de 400000 entrées estimées, le film n'est pas vendu à Canal+. Si, potentiellement, il est sous cette barre, l'e-cinema est plus avantageux que la salle.

Quelles autres initiatives faudrait-il prendre ?

Sur les 220 films français produits, seuls 30 ou 40 sortent à l'étranger en salles. Les autres devraient pouvoir être vus sur Internet par les francophones vivant à l'étranger. Un abonnement mensuel de 9 euros pour tous les films qui sortent chaque mois, ça fait de l'argent. Unifrance [NDLR: organisme sous tutelle de l’État qui s'occupe du cinéma français à l'étranger] devrait pouvoir s'en occuper. Rien ne se passe.

Comment le cinéma français est-il vu à l'étranger ?

Toujours comme un vivier de talents, avec des cinéastes qui parviennent à surprendre. L'animation se porte très bien. Le succès de La Tortue rouge à Cannes nous a dépassés. Il y a un paradoxe étonnant: ce qui marche à l'étranger est le plus difficile à financer chez nous. Grave, par exemple.

Quel regard portez-vous sur l'arrivée de Netflix et d'Amazon dans la production ?

Je dissocie les deux: Netflix fait de la quantité sans ligne éditoriale, quand Amazon a permis à Spike Lee ou à Jim Jarmusch de tourner à nouveau, alors qu'ils disparaissaient des radars. Amazon, qui propose aussi une exploitation en salles, est la meilleure nouvelle pour le cinéma indépendant mondial depuis vingt ans. Mais, en France, on pousse des cris...

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