Article publié dans Darkness Fanzine n°14 (2013, p. 63)
Avant de nous pencher sur le cinéma dans un article à paraître dans quelques semaines, intéressons-nous un instant à la photographie au dernier jour de l'exposition sur Serrano organisée à Bruxelles.
La photographie est-elle un art au même titre que la peinture ou la sculpture ? Le photographe est-il un artiste s'il se contente de reproduire un visage, d'immortaliser un paysage ou de figer une action sur du papier ou un support numérique ? Très rapidement, les tribunaux ont estimé que la fixation d'un regard, le traitement du cadrage ou le choix de la lumière étaient de nature à constituer une œuvre originale protégée par le droit d'auteur. Mais quand le sujet devient scabreux, aborde la sexualité, la mort ou la religion force est de constater que les choses se compliquent considérablement et finissent très souvent devant un juge chargé de veiller à l'équilibre délicat entre liberté d'expression et moralité publique. La photographie devient alors une source d'ennuis, de polémiques, de scandales et de procès. Le sujet de l'image peut heurter la personne photographiée ou choquer le public. Peut-on librement exposer le portrait d'une fillette en train de mourir ? Est-il raisonnable d'exposer des pénis au repos ou en pleine érection ? Est-il de bon ton de plonger un crucifix dans un bocal rempli d'hémoglobine ? Deux exemples contemporains montrent toute la complexité du sujet et l'attirance ou le rejet de la représentation des déjections humaines, des fluides corporels, du sexe masculin sans oublier d'évoquer leur association provocatrice à la religion.
En 1990, le Contempory Arts Center (CAC) de Cincinnati décide d'organiser une exposition rétrospective présentant le travail du photographe Robert Mappelthorpe décédé en 1989, célèbre pour ses clichés en noir et blanc illustrant la vie de la communauté gay de New York. Le jour de l'ouverture au public le directeur du centre est accusé d'obscénité. Les policiers se saisissent le jour même de sept photographies litigieuses et une action en justice est engagée contre le centre. Après un procès retentissant, les jurés acquittent à la surprise générale le CAC et son directeur, convaincus de la volonté du célèbre photographe d'immortaliser un moment particulier de l'histoire des communautés homosexuelles avant l'épidémie dévastatrice du SIDA. Les tribunaux américains admettent officiellement que l'art n'est pas forcément beau et agréable et qu'il peut nous aider à réfléchir sur nous-mêmes et sur le monde qui nous entoure.
En 1987, le photographe américain Andres Serrano, artiste très controversé adepte de l'exploration des obsessions via le sexe et la religion, propose une œuvre intitulée Piss Christ représentant Jésus sur la Croix baignant dans une lumière teintée de rouge et de jaune... en fait un crucifix plongé dans un bocal contenant sa propre urine et du sang de vache ! Tirée d'une série de clichés réalisés à partir de liquides corporels - tels le sang, le lait, l'urine et le sperme - la photographie est d'abord vandalisée en 1997 lors d'une exposition organisée en Australie et finalement détruite à coups de marteau par deux adolescents les jours suivants. En 2007, l'exposition A History of Sex présentée à la Kulturen Gallery de Lund en Suède, fait l'objet d'une violente attaque par des militants d'extrême-droite qui saccagent et pulvérisent la moitié des œuvres exposées par Serrano. En France, l'œuvre exposée à Avignon est vandalisée le 17 avril 2011 par des militants d'extrême-droite.
Dernier jour donc, pour aller découvrir une partie de l’œuvre controversée d'Andres Serrano intitulée Uncensored Photographs proposée par les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Notons qu'Andres Serrano devrait être exposé à la Maison européenne de la photographie à Paris du 30 novembre 2016 à fin janvier 2017.
Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique rue de la Régence 3 1000 Bruxelles +32 0(2) 508 32 11 info@fine-arts-museum.be