Mis à jour le 26 septembre 2017.
En février 2017, la presse relate les premières attaques virulentes de prêtres orthodoxes et de politiciens russes pour empêcher la sortie de Matilda (Mathilda, 2017, Aleksey Ouchitel). Le film, qui raconte l'histoire de l'ancienne maîtresse de Nicolas II, la ballerine Matilda Kchesinskaya, insupporte au plus haut point les religieux du pays qui ont depuis longtemps canonisé le Tsar dont l'image ne peut désormais être écornée : « L'idée même que le dernier Tsar de Russie, figure iconique de l'Église orthodoxe, ait pu entretenir une liaison adultère avec une danseuse, est jugée suffisamment calomnieuse et attentatoire aux sentiments religieux pour justifier son interdiction », nous rapportait Pierre Avril en début d'année sur le site lefigaro.fr. La fronde, menée par l'évêque Tikhon - ancien diplômé de la prestigieuse université de cinéma moscovite GIK, devenu confident spirituel de Vladimir Poutine - est rapidement relayée par l'ancienne procureure de Crimée, aujourd'hui députée pro-Kremlin du parti majoritaire Russie Unie, Natalia Poklonskaïa.
La grogne reste contenue jusqu'à l'été dernier.
Le 18 juillet 2017, Emmanuel Grynszpan nous apprend sur le site letemps.ch, que d’immenses bannières condamnant Matilda sont brandies par des supporters du Spartak et du Lokomotiv durant la finale de la Super Coupe de Russie. Cheffe de file du combat contre le film, Natalia Poklonskaïa s’empresse de remercier les supporters sur son compte Facebook : « Nos gars sont formidables ! J’espère qu’à chaque match [la campagne contre Outchitel] prendra de l’ampleur ! Je sais que les meilleurs jours sont à venir pour les supporters ! » Devant la médiatisation de l’incident, le réalisateur du film menace de porter plainte, affirmant sur la chaîne Match TV que « les slogans ont été affichés par des gens payés et qui ne comprennent pas ce qu’ils écrivent. […] Ils n’ont rien à voir avec les supporters du Spartak ni du Lokomotiv ».
A la surprise générale, la sortie du long métrage est finalement autorisée en Russie le 11 août 2017, le ministère de la Culture précisant que « les autorités locales dans les régions, prenant en considération les traditions et les coutumes des peuples présents sur leur territoire », pourront « juger indépendamment de l’utilité de la diffusion de tel ou tel film ». Une porte grande ouverte à la censure décentralisée. Aussitôt après la décision des autorités russes, le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov assure qu’une interdiction n’est pas nécessaire en Tchétchénie puisque personne n’ira jamais voir un film anti-patriotique. Une menace à peine déguisée qui éloigne définitivement la perspective de diffusion dans ce coin de la Fédération. En Ingouchie, autre République du Caucase, l’unique cinéma de la région annonce dans la foulée qu’il ne projettera pas Matilda pour ne pas « offenser les croyants ». Interrogé en septembre 2017 sur la polémique grandissante, Vladimir Poutine déclare sobrement à la presse : « De nombreux films ont déjà été réalisés sur la famille impériale. [...] Beaucoup sont, selon moi, plus sévères que celui d'Alexeï Outchitel. » Pas de censure d’État mais aucune condamnation non plus, aucun mot sur les menaces proférées chaque jour contre le film et son réalisateur.
Depuis maintenant plusieurs semaines, le groupe État chrétien - Sainte Russie appelle presque quotidiennement à la destruction des cinémas qui oseront diffuser le film en Russie. Les premiers incendies constatés et les menaces de mort répétées ont déjà convaincu une centaine d'exploitants d'annuler leurs projections par peur de représailles. Il y a quelques jours, on apprenait même que les organisateurs du Trans-baïkal International Film Festival (ЗМКФ) de Tchita ont préféré déprogrammer Matilda pour éviter le déluge de feu promis par Alexander Kalinin, le chef du groupe de fanatiques orthodoxes partout à l'affût : « À chaque fois qu'un cinéma montrera le film, il sera brûlé le lendemain ! »
A la fin du mois de septembre, le service de sécurité russe (FSB) et le département de lutte contre l’extrémisme du ministère de l’intérieur de la Fédération de Russie ont interpellé Alexander Kalinin, pour avoir proféré des menaces contre les exploitants. Bien que ne nouveau libre, le leader du groupe État chrétien - Sainte Russie est désormais poursuivi en justice.
De son côté, sans pour autant défendre le film, le président du département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou tente d'apaiser la situation et déclare être « contre tout appel à la violence, toute menace à l’encontre de qui que ce soit, le réalisateur, les acteurs, les directeurs de salles », et de dénoncer le risque de « renaissance de la censure sur le modèle soviétique ».