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CENSURE & CINEMA

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Collection Darkness, censure et cinéma


La violence du film Brimstone justifie-t-elle une interdiction aux moins de 16 ans ?

Publié par darkness-fanzine.over-blog.com sur 18 Mars 2017, 11:06am

Catégories : #censure, #cinéma, #interdiction, #violence, #brimstone, #thejokersfilms, #azoulay, #commission, #16 ans

Sur son profil Facebook, le distributeur The Jokers Films interpelle directement Audrey Azoulay après que la commission de classification des œuvres cinématographiques ait proposé au ministre de la Culture et de la Communication, pour la seconde fois, une interdiction aux spectateurs de 16 ans pour Brimstome (2017, Martin Koolhoven) qui sortira sur les écrans français le 22 mars prochain « justifiée par la complaisance dans le sadisme dont fait preuve le réalisateur dans le traitement de nombreuses scènes d’extrême violence tout au long de ce film de 2h30 ». Le film raconte l'histoire de Liz, une jeune femme d’une vingtaine d’années, traquée depuis son enfance par un prêcheur dans l’Ouest américain, à la fin du XIXe siècle.

Alors qu'une partie de la presse s'étonne, une autre s'interroge, notamment à l'étranger tel Hubert Heyrendt dès le 17 janvier 2017 sur le site lalibre.be : « Construit en quatre épisodes non chronologiques aux intitulés bibliques [...], Brimstone se présente comme une réflexion sur la façon dont la religion justifie la violence faite aux femmes. A l’écran, cela se traduit par un révérend psychopathe - Guy Pearce ne fait pas dans la dentelle pour donner un peu d’épaisseur à ce personnage caricatural, décalqué du Robert Mitchum de La Nuit du chasseur -, des prostituées violées, de l’inceste, des épouses fouettées ou muselées… Sans parler des pendaisons, de l’abattage de cochons par une gamine de 13 ans ou des têtes explosées, jusqu’au gore le plus complet. Koolhoven rêve d’un western à la Tarantino façon Django Unchained ou Les Huit salopards. Mais il n’est pas Tarantino. Comme lui, il livre un pur film d’exploitation mais sans aucune ironie ou second degré. Tout est tellement lourd, appuyé (que ce soit le scénario ou la mise en scène) que cette dénonciation de la violence échoue totalement. Au contraire, Koolhoven signe un film à ce point complaisant qu’il finit par donner le haut-le-cœur. Face à cette succession de scènes toutes plus insoutenables les unes que les autres, on finit par avoir la désagréable sensation de voir coucher à l’écran une série de fantasmes macabres. A tel point que l’on se demande qui, du personnage de ce pasteur fou et de son créateur, est le plus pervers. Imposer certaines scènes franchement limites à une actrice de 14 ans (Emilia Jones, qui campe l’héroïne dans sa jeunesse) tient en effet d’une forme d’exploitation très malsaine… »

Dans sa lettre ouverte reproduite ci-dessous, le distributeur français s'offusque du maintien du niveau de classification proposé à deux reprises par la Commission de classification alors que, dans le le même temps, le long métrage de Martin Koolhoven est interdit aux moins de 18 ans au Royaume-Uni, en Corée du Sud et à Singapour, les Etats-Unis choisissant de le classer R, c'est-à-dire de l'interdire aux mineurs non accompagnés d'un adulte. Seuls les Pays-Bas et la France ont choisi une restriction moins sévère malgré une brutalité rapportée par les internautes :

La violence du film Brimstone justifie-t-elle une interdiction aux moins de 16 ans ?

Une telle classification est-elle si étonnante ? La Commission propose généralement une interdiction aux mineurs de 16 ans lorsqu'un film accumule des scènes « de grande violence, de cruauté éprouvantes, de torture morale et physique, de mutilation dont la vision constitue une épreuve ». Un niveau de classification attribué à Old Boy (2003) de Park Chan Wook, « en raison du caractère extrêmement dur de certaines scènes (torture, mutilation), d’un climat général pénible à supporter et d’un scénario difficile à comprendre en dessous de 16 ans » ou encore pour Saw (2004) de James Wan, comportant des « scènes de très grande violence, sadisme, torture mentale et physique à la limite du supportable ». Les interdictions aux moins de 16 ans, souvent prononcées à l'encontre de films très violents ou comportant des scènes de sexe non simulées, limitent le nombre de salles acceptant de les projeter. Une situation que les distributeurs et les producteurs ne veulent évidemment pas subir, les grands réseaux d'exploitation évitant de programmer de tels films. Ce qui explique régulièrement l'irritation commerciale des distributeurs, tel The Jokers Films.

Souvenons-nous de la colère de Yves Chevalier, directeur opérationnel chez Synergy Cinéma, après l'interdiction aux moins de 16 ans de You're Next (2011, Adam Wingard) décidée le 27 juin 2013, dont nous vous parlions sur le site cinemafantastique.com : « Dans un premier temps, nous étions interdits aux moins de 12 ans. En plénière, nous avons été interdits aux moins de 16 ans. Sans explication. Nous avons demandé à repasser devant la Commission de classification. Cela nous a été refusé. You're Next est un petit film de genre, nous sommes une petite structure. On a de plus en plus de mal à placer en salles ce type d'oeuvres. Être interdit aux moins de 16 ans, c'est presque infamant. Ce sera très pernicieux dans tous les cas. » Privé d'une partie du public pour sa carrière en salles, You're Next a également vu s'éloigner les perspectives d'une diffusion sur le petit écran, les grandes chaînes de télévision publique ne pouvant le programmer qu'en seconde partie de soirée. Un manque à gagner supplémentaire même si Canal+, les chaînes cinéma du câble, du satellite et les services de paiement à la séance sont autorisés à diffuser de tels films à partir de 20h30.

De ce fait, les distributeurs n'hésitent plus à présenter les versions allégées des scènes susceptibles d'entraîner une interdiction pour obtenir un niveau de classification économiquement acceptable. Ainsi, The Lost Door (Roy Stuart, 2008) est interdit en France aux moins de 16 ans après que le réalisateur ait proposé la version édulcorée du film initialement présenté à l'avis de la Commission.

Dans l'affaire Brimstone, l'indignation de The Jokers Films paraît donc d'abord économique. Soufflons au distributeur qu'il lui est toujours possible de contester la décision ministérielle de classification devant la cour administrative d'appel de Paris, ce qui ne semble pas être pour le moment, à l'ordre du jour.

Lettre ouverte au ministère de la Culture et de la Communication et aux membres de la Commission de « classification », le 17 mars 2017 :

Madame la Ministre, Mesdames et Messieurs les membres de la Commission de classification,

Après une longue attente, suite à notre appel de la décision de la Commission de classification le 23 janvier 2017, de l’interdiction aux moins de 16 ans du film Brimstone réalisé par Martin Koolhoven, le « verdict » a été confirmé hier matin, le 16 mars 2017. L’interdiction aux moins de 16 ans sera maintenue. Nous n’en connaissons pas encore les motivations exactes mais elles seront certainement de cet ordre : « l’atmosphère oppressante du film nous a conduit à… ». Nous n’avons jamais pensé que le film était destiné aux plus jeunes. Le film aborde en effet des sujets tels que la violence faite aux femmes et celle que peut engendrer une interprétation hasardeuse des textes religieux. Il nous semble qu’un public de 12 ans à notre époque et dans notre société actuelle peut aisément appréhender ces problématiques. Ces dernières semaines, pour ne pas dire ces dernières années, vous avez prononcé des interdictions aux moins de 12 ans pour des œuvres dont la violence graphique, parfois extrême, montrait, entre-autres, cadavres ramassés à la pelle et autres carnages. Cela nous amène à vous poser plusieurs questions qui nous semblent légitimes : Où placez-vous le curseur entre une interdiction aux moins de 16 ans et aux moins de 12 ans ? La violence est-elle plus regardable par les plus jeunes lorsqu’elle est gratuite que lorsqu’elle est liée à des problématiques plus sérieuses ? Le fanatisme et la violence faite aux femmes sont-ils des maux qui ne sauraient être dénoncés au regard de la commission ? Ou pire : constituent-ils des circonstances aggravantes pour celle-ci ? Trouvez-vous plus tolérable que l’on montre au jeune public que l’utilisation des armes est somme toute anodine ? Que l’on peut tuer en s’amusant ?

Au-delà de la mise au ban de notre film, nous n’aurions rien à redire sur cette classification si nous n’avions le sentiment d’un traitement biaisé qui ne peut que nous rappeler celui que la Commission avait réservé à un autre réalisateur hollandais en son temps, M. Paul Verhoeven, avant de le réhabiliter près de vingt années plus tard. Le propre du cinéma est précisément de susciter des émotions fortes, parfois éveiller les consciences, aussi nous peinons à comprendre cette discrimination dans le traitement, comparativement à d’autres oeuvres. Et nous ne sommes pas les seuls. Sinon nous nous serions tus. Par cette lettre nous réclamons un traitement équitable des œuvres. C’est votre mission et votre devoir. C’est également votre responsabilité.

Sincères salutations.

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