Attendu depuis plusieurs mois, le rapport d'activité de la commission de classification des œuvres cinématographiques couvrant la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, publié en juillet dernier, a enfin été mis en ligne en octobre 2017 sur le site du centre national du cinéma et de l'image animée. Que peut-on découvrir dans les 123 pages de ce document ?
Signé par Jean-François Mary, le rapport présente les règles de fonctionnement de la Commission, détaille les modifications intervenues depuis le précédent rapport, précise le processus d'attribution des visas et revient sur certaines affaires ayant défrayé la chronique. 52 pages auxquelles il faut ajouter 66 pages constituées d'annexes compilant les textes et la jurisprudence illustrant la première partie du rapport. Cependant, notons que le document ne cite pas le décret n° 2017-150 du 8 février 2017 relatif au visa d'exploitation cinématographique modifiant l'article R.211-12 du Code du cinéma et de l'image animée (CCIA) pour ce qui concerne l'interdiction aux moins de 18 ans.
Le Président présente longuement les critères guidant le travail des membres de la Commission pour apprécier et classer les films avant une sortie en salles : « L’œuvre est appréciée dans son ensemble. La commission conjugue intention de l’auteur et maturité des publics dans leur réception des images eu égard à leur nécessaire protection. […] Il faut combiner deux critères objectif et subjectif. Le premier critère reflète ce qui est donné à voir, la durée, la violence physique ou psychologique, l’atteinte à l’image de la femme et à la dignité humaine, la charge émotionnelle ou traumatisante, l’exhibitionnisme ou la crudité des scènes sexuelles d’un film, leur durée et leur répétition. Le second critère tempère ou aggrave le premier en appréciant le contenu général du film, le sujet traité, la qualité de la réalisation, le message politique, moral ou social. »
Les recours introduits par l'association Promouvoir et le contentieux subséquent permettent de mieux comprendre les nombreuses décisions de justice qui ont émaillé la période, notamment pour les films contenant des scènes de sexe. Le rapport s'arrête particulièrement sur la décision du Conseil d’État de septembre 2015 relative à la classification de Love, de Gaspar Noé :
1. Dès lors qu’un film comporte des scènes de sexe non simulées, les seuls classements susceptibles d’être légalement retenus sont ceux qui sont prévus par les 4° et 5° des dispositions précitées de l’article R.211-12 du CCIA, c’est à dire dix-huit ans ou dix-huit ans et une classification X.
2. Pour retenir la qualification de scènes de sexe non simulées, c'est-à-dire de scènes qui présentent, sans aucune dissimulation, des pratiques à caractère sexuel, il y a lieu de prendre en considération la manière, plus ou moins réaliste, dont elles sont filmées et l’effet qu’elles sont destinées à produire sur les spectateurs.
3. Dans l’hypothèse où une telle qualification est retenue, il y a lieu d’apprécier la manière dont elles sont filmées et dont elles s’insèrent dans l’œuvre en cause pour déterminer celle des deux restrictions prévues respectivement par le 4° et le 5° de l’article R.211-12 du CCIA qui est appropriée.
Après la présentation de quelques évolutions dont celles liées aux appellations (la sous-commission devient le comité de classification, et l’assemblée plénière est dorénavant appelée commission de classification), puis un rappel sur le processus d'attribution des visas, le rapport livre quelques statistiques d'activité. On apprend ainsi que 87,7 % des œuvres exploitées en salles sur la période ont reçu un visa pour tous publics. Le Président s'attarde ensuite sur certains films dont les visas ont été particulièrement discutés tels Spring Breakers, L'Inconnu du lac, Jeune et Jolie, ou encore Only God forgives de Nicolas Winding Refn :
« Lors du premier examen de ce film le 23 avril 2013, la Commission a proposé une interdiction aux mineurs de moins de seize ans. Il a suscité des échanges nourris entre les membres de la commission favorables à une interdiction aux mineurs de moins de seize ans et ceux favorables à une classification moins sévère. Pour les premiers, cette interdiction était justifiée par deux éléments principaux : d’une part des scènes de torture particulièrement crues, en particulier, celle comportant une énucléation filmée en gros plan, d’autre part des relations de haine entre une mère et son fils culminant avec l’éventration par le héros du cadavre de sa propre mère. Pour les seconds, ces images violentes ne pouvaient pas valoir au film une telle interdiction, parce qu’elles ne duraient que quelques secondes. » Only God Forgives est finalement interdit aux moins de 12 ans avec l'avertissement : « Ce film comporte des scènes qui peuvent choquer un jeune public. »
On apprend également que la version longue du film Il était une fois en Amérique de Sergio Leone a été interdite aux moins de 12 ans en mai 2015, alors que la version originale de 1984 avait été autorisée pour tous publics :
« Une version « longue » d’Il était une fois en Amérique de Sergio Leone a été présentée à la Commission de classification. La première version qui avait été présentée en 1984 avait obtenu un visa tous publics avec avertissement. Les scènes rajoutées à cette nouvelle version sont des scènes qui ne présentait aucun caractère particulier de violence physique ou psychologique, ni aucune scène de sexe. Toutefois, cette nouvelle vision du film a poussé les membres de la Commission à s’interroger sur la scène de viol présente dans la version de 1984 : l’héroïne est violée dans un taxi par le héros dans une scène longue, assez explicite et dont la violence et le caractère sordide étaient incontournables. Alors que les autres scènes de violence du film, assassinats, bagarres, semblaient avoir un traitement assez ancien et peu réaliste, cette scène de viol, au contraire, était plus appuyée que celles que le cinéma laisse apparaître de nos jours. Un débat s’en est suivi sur l’appréciation de la violence faite aux femmes et la violence sexuelle en général et qui a montré que le public était sans doute moins prêt à accepter de telles scènes de nos jours. Le vote a donc abouti à un visa d’interdiction aux moins de douze ans pour cette version longue du film même si la scène qui a motivé ce vote est présente dans la version d’origine. »
Le Président conclut son rapport en posant très intelligemment la question de la légitimité de la classification des films en salles : « La classification des films sera toujours le résultat du regard porté par la société des adultes sur les jeunes et ce regard qui traduit aussi une inquiétude, évolue. La création cinématographique bénéficie des garanties reconnues à ces libertés publiques, garanties par les textes constitutionnels, que sont la liberté d’expression et la liberté de création. La fréquentation des salles de cinéma est pourtant la seule pratique culturelle reposant sur un régime de protection des personnes mineures comportant une autorisation préalable avant que l’œuvre ne fasse l’objet d’une projection publique. La Commission de classification s’efforce de concilier ces deux exigences, au-delà de divergences qui font d’ailleurs la richesse des débats en son sein. »
Le rapport complet : ICI.