
Après la mise en ligne de la photographie du footballeur Antoine Griezmann, postée sur son compte Twitter le montrant déguisé et maquillé en joueur noir des Harlem Globetrotters, le conseil représentatif des associations noires (CRAN) qui s'emploie à traquer partout en France les blackfaces – une pratique théâtrale qui s’est développée à partir du XIXe siècle aux États-Unis, conduisant des acteurs blancs à se peindre le visage en noir pour interpréter des personnages caricaturaux de noirs attardés, toujours hilares et portés sur la danse et la musique – qualifiés « d'actes racistes », vient d'obtenir la modification de l'affiche du prochain festival international du film fantastique Même pas peur qui se déroulera du 21 au 28 février 2018 à La Réunion. Contactée par le CRAN dès la publication du visuel de l'édition 2018, Aurélia Mengin, la créatrice et directrice de ce très beau festival, a clairement expliqué que « l’affiche n’est ni raciste, ni blessante, juste mal interprétée ».
Le 31 décembre 2017, Louis-Georges Tin, le président du CRAN, lui répond et ironise : « En d’autres termes, il y a juste un public de noirs imbéciles qui ne comprennent rien à l’art. Le CRAN a rappelé à Mme Mangin que le Défenseur des droits en France et le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies ont reconnu le caractère raciste du blackface. Mais sans doute Aurélie Mangin est-elle plus compétente en ce domaine que toutes ces personnes réunies, puisqu’elle est métisse. Malgré tout, la pression du CRAN a fini par porter ses fruits. »
En citant le Défenseur des droits, le CRAN fait référence à la prise de position de Jacques Toubon en 2014 après que des policiers déguisés et maquillés en Noirs, banane à la main, aient posté une photographie sur Twitter au cours d'une soirée privée. Notons que l'enquête menée par l'inspection générale de la police nationale pour « incitation à la haine raciale », a été classée par le Parquet.
L'affiche de la 8e édition du festival, qui n'a évidemment absolument rien à voir avec les deux affaires de photographies imbéciles postées sur les réseaux sociaux - et qui désormais fait le tour du Net -, pose une nouvelle fois la question des libertés de création et d'expression. Jusqu'où les artistes peuvent-ils aller pour exprimer leur art ?
Des éléments de réponse figurent dans le communiqué publié par Aurélia Mengin, réalisatrice et directrice du festival :
« Depuis sa création, l’art contemporain fait partie de l’ADN de MEME PAS PEUR, pour chaque édition une installation artistique éphémère est réalisée sur la scène du Festival.
Le résultat propose une nouvelle population endémique sortie tout droit de mon imaginaire aux influences fantastiques, poétiques et plastiques. L’affiche de notre 8ème édition met ainsi en scène deux siamoises amazones, mi-femmes, mi-oiseaux, dont la peau vinyle est faite de peinture et dont la chevelure constituée de nids de bélier, évoque les perruques du temps de la Renaissance. C’est également un hommage à cet oiseau dont le jaune vif illumine notre végétation tropicale. Nos deux siamoises d’un autre monde, après une mutation biologique, peuvent se reproduire seules, en pondant des œufs, ce qui les classe parmi les espèces volatiles, libérant ainsi leur corps de la douleur de l’accouchement.
Il y a deux ans, mon travail de création pour l’affiche, m’avait amené à créer des amazones de sable noir du volcan aux visages ovoïdes.
Je suis réunionnaise, fruit du métissage entre une mère noire et un père blanc. Mon père est artiste, mes parents ont bâti, il y a plus de 35 ans, le Lieu d’Art Contemporain de La Réunion. J’ai grandi entouré d’artistes et de leurs œuvres. Le regard que je porte sur le monde est toujours emprunt du prisme de la création. Je suis moi même réalisatrice, mon travail développe des univers où l'étrangeté flirte en permanence avec la réalité, soulevant souvent des interrogations, parfois des incompréhensions, mais toujours avec cette même volonté d’avancer un peu plus loin dans une recherche artistique fondamentale et personnelle.
Quelques jours après la parution de notre affiche dans la presse réunionnaise et métropolitaine, nous avons reçu énormément de retours positifs sur l'esthétisme, l’audace et la force de notre visuel. En parallèle, notre affiche suscite aussi des attaques virulentes, inquisitrices, accusant le festival de « blackface », un mot qui m'était encore inconnu jusqu’alors. Les détracteurs accusent publiquement le festival et moi-même de racisme.
Notre affiche propose un ailleurs, ouvre une porte sur des personnages de fictions imaginaires. Notre affiche ne met pas en scène deux femmes noires, sinon effectivement pourquoi nous serions nous infligés ce travail fastidieux et délicat de peinture sur corps ? Ma propre mère est noire, ainsi qu’une grande partie de ma famille. Si j’avais voulu photographier des femmes noires je l’aurais fait.
Notre affiche met en lumière des femmes peintes, rendant ainsi un hommage direct à la peinture. Lorsque mes détracteurs voient dans mon geste créatif du racisme, moi j’y revendique mon amour démesuré pour l’art pictural, les femmes, la couleur, la végétation réunionnaise.
Dans notre travail de peinture sur corps, ma maquilleuse et moi avons testé différentes couleurs, du doré à l’argenté en passant par le violet… Nous avons toutes les deux été convaincues que le noir vinyl était, sans aucun doute, la plus belle couleur. À travers cette affiche, je déclare donc sans aucune ambiguïté, ma passion pour l’art, pour la liberté d’expression, pour la couleur noire.
Il n’empêche que certaines personnes ont été blessées par une interprétation erronée, très éloignée de la réalité qui m’inspire. C’est pour cette raison qu'après un long échange avec Monsieur Louis-Georges Tin, Président du CRAN, le Conseil Représentatif des Associations Noires de France, je me suis engagée à modifier l’affiche en supprimant le « blackface » afin d'apaiser les tensions, que je suis la première à déplorer. La nouvelle version de notre affiche sera dévoilée très prochainement.
Il faut malgré tout être conscient, que quelque chose de la liberté a été décapitée en même temps que les têtes de mes amazones. »
Heureusement pour Aurélia Mengin, l'affiche de l'édition 2017 a été éditée avant l'affaire Weinstein...