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CENSURE & CINEMA

CENSURE & CINEMA

Collection Darkness, censure et cinéma


Rana Eid préfère déprogrammer son documentaire Panoptic plutôt que d'accepter de le censurer

Publié par darkness-fanzine.over-blog.com sur 4 Avril 2018, 07:47am

Catégories : #censure, #cinéma, #interdiction, #panoptic, #liban, #beyrouth, #rana eid, #Beirut Cinema Screenings

Panoptic (Rana Eid, 2017) est un documentaire qui présente la lettre d’une fille à son père, qui se rappelle les moments passés dans les abris anti-aériens pendant la guerre civile libanaise. Le portail du film documentaire précise : « Panoptic plonge dans les tréfonds de Beyrouth pour explorer les paradoxes dont recèle le Liban : un pays qui a soif de modernité mais qui ignore ironiquement les vices qui l’empêchent d’atteindre pleinement celle-ci. Alors que les Libanais décident pour la plupart de fermer les yeux sur les failles de l’histoire de leur pays, Rana Eid sonde à travers images et sons, des monuments emblématiques et des secrets dissimulés. » Un récit introspectif qui n'esquive aucune question douloureuse sur le Liban contemporain, doublé d'une déclaration d'amour à son père décédé.

 

Présenté dans des festivals internationaux, à Locarno et à Dubaï, Panoptic n'a pas reçu le même accueil dans son pays d'origine. Alors qu'il devait être projeté au cinéma Metropolis dans le cadre du festival Beirut Cinema Screenings organisé du 22 au 25 mars 2018 à Beyrouth, la réalisatrice et ingénieure du son Rana Eid est sommée de censurer son film par la Sûreté Générale deux jours avant sa projection prévue le 24 mars à 21 heures. Refusant de plier, la réalisatrice préfère et accepte que son film soit déprogrammé. Elle explique la situation dans un entretien publié le 3 avril dernier :

 

« Je suis née en 1976, j'ai passé ma jeunesse dans les abris et j'ai entrepris une sorte de voyage dans les souterrains de Beyrouth. Je me suis rendue compte que le sous-sol libanais est d'une manière ou d'une autre relié à un système militaire : des centres de détention, des bases ou d'anciens QG de miliciens. Il y a tout un réseau militaire caché. Au Liban, il n'y a pas de dictateur au sens propre, c'est pour cela qu'il n'y a pas de révolte populaire. A la place, il y a un système militaire qui nous regarde sans que l'on sache où il est. Panoptic a été un long processus au terme duquel je me suis aperçue que c'était aussi une façon de parler à mon père, militaire, avec qui j'avais une très belle relation et qui est mort il y quelques années. C'est une façon de faire son deuil et de montrer comment cette démarche est difficile à Beyrouth, où tout nous ramène au passé. »

 

« J'ai fait ma demande de permis auprès de la Sûreté Générale trois semaines avant la projection. Nous avions que le sujet du film était un peu délicat donc on voulait leur laisser du temps. Avec l'autorisation de l'armée, on était plutôt confiant. On n’a pas reçu de réponse. Jeudi à 11 heures, ils nous appellent : "Le film va passer, pas de problème. Par contre, il faut retirer une phrase et toutes les images de militaires dans le centre de détention." La projection était prévue le samedi soir. Même si j'avais voulu charcuter le film, je n'aurai pas eu le temps de le faire. C'était une façon hypocrite de dire " votre film ne passera pas". La phrase en question c'était : "Ces gens on ne va pas les juger et ils vont être oubliés", à propos des immigrés en détention. […] Cette phrase résume mon discours sur l'armée dans ce film, l'enlever aurait vidé le film de son sens. »

 

« Jeudi et vendredi ont été des jours très intenses. Je ne savais pas quelle décision prendre. Le directeur du festival de Locarno qui m'avait sélectionné, Carlo Chatrian, m'a dit : "Penses d'abord à ton film et à ton intégrité". Ça m'a convaincu. Je me suis dit que je n'allais rien enlever, j'assume tout. Lorsqu'il a présenté le film à Locarno, Carlo a dit : "Ce film c'est l'expression d'une voix personnelle, les voix personnelles n'ont jamais tort." Ça m'a beaucoup touché. Panoptic n'a pas été projeté mais le monde du cinéma, de l'art et des médias est venu me soutenir. C'était très émouvant. C'était important pour moi d'expliquer ma décision de ne pas projeter le film, pour préserver l'intégrité du film et par respect pour le spectateur. »

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