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CENSURE & CINEMA

CENSURE & CINEMA

Collection Darkness, censure et cinéma


Le documentaire Caniba sera-t-il interdit aux moins de 18 ans ?

Publié par darkness-fanzine.over-blog.com sur 7 Juin 2018, 19:02pm

Catégories : #censure, #cinéma, #interdiction, #documentaire, #caniba, #18 ans, #cannibale

Mis à jour le 3 juillet 2018.

 

Les Inrockuptibles nous apprennent la proposition d’interdiction aux moins de 18 ans formulée par la Commission de classification le 5 juin 2018 pour le documentaire Caniba (Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor, 2017) qui raconte l’incroyable histoire d’Issei Sagawa, un étudiant japonais qui en 1981, avait tué puis dévoré en partie une de ses camarades. Déclaré pénalement irresponsable et libéré quatre ans plus tard, Sagawa est ensuite devenu « une bête de foire médiatique au Japon, jouant au cannibale dans des shows télé et même dans un film érotique. Diminué par la maladie, il habite maintenant avec son frère Jun qui s’occupe de lui dans un appartement de la banlieue de Tokyo ».

 

La Commission de classification des œuvres cinématographiques a justifié très précisément sa proposition de la manière suivante : « Ce documentaire filme un homme qui, en 1981, commit un acte monstrueux. En dépit de son carton final qui affirme que Caniba ne justifie ni ne légitime le comportement de Issei Sagawa, le parti pris esthétique et narratif des deux co-réalisateurs a suscité beaucoup d’interrogations de la part des membres de la commission, certains leur reprochant leur complaisance. Lors du débat très nourri, certains membres ont souligné une triple atteinte à la dignité humaine : à l’égard de la victime décédée, à l’égard de Issei Sagawa et à l’égard de son frère dont les pratiques masochistes sont longuement filmées. Pour l’ensemble de ces motifs, et sans qu’il soit besoin d’apprécier une éventuelle violation des dispositions de l’article 227-24 du Code pénal, la commission est d’avis d’interdire Caniba aux mineurs de dix-huit ans. »

 

Le 6 juin dernier, dans une lettre ouverte adressée à la ministre de la Culture, Valentina Novati, la productrice et distributrice, justifie le propos du documentaire qui doit sortir sur les écrans français le 22 août prochain. Norte Productions demande en outre la révision du niveau de classification et propose une interdiction aux moins de 16 ans avec avertissement : « C’est un parcours à travers la folie de deux hommes, à travers les méandres du désir, l’ambiguïté de l’amour fraternel, qui prend à bras le corps ces questions et se refuse d’en édulcorer les effet. » Valentina Novati souligne que l'exploitation du film au cinéma risque d’être considérablement pénalisée par cette interdiction : « Les cinémas municipaux qui sont le cœur de la programmation Art et Essai et Recherche auront des résistances à le diffuser, par crainte de lever chez les maires des interrogations, voire des oppositions. »

 

Cette interdiction aux mineurs est la première formulée sur la base de l’article R.211-12 du Code du cinéma et de l’image animée, modifié en février 2017, lequel permet une telle restriction à la programmation en salles « lorsque l'œuvre ou le document comporte des scènes de sexe ou de grande violence qui sont de nature, en particulier par leur accumulation, à troubler gravement la sensibilité des mineurs, à présenter la violence sous un jour favorable ou à la banaliser, le visa d'exploitation ne peut s'accompagner que de l'une des mesures prévues au 4° et au 5° », c'est-à-dire une interdiction aux mineurs (classique ou pour pornographie), et un alinéa d'ajouter « le parti pris esthétique ou le procédé narratif sur lequel repose l'œuvre ou le document peut justifier que le visa d'exploitation" soit assorti d'une interdiction classique aux moins de 18 ans ».

 

Sans illusions, la productrice souhaite appeler l’attention de la ministre sur « une tendance croissante de cette Commission, majoritairement dans ses membres issus de la société civile et du monde associatif, à rendre des avis qui relèvent de la censure des œuvres dans leur accès au public ». Contre-productif, ce commentaire engagé et gratuit est parfaitement erroné. Il suffit de prendre la peine de comparer le niveau des restrictions décidées en France avec celles prononcées dans le reste du monde. Rappelons ainsi que la France a interdit un seul long-métrage aux moins de 18 ans depuis 2017 - Frig (Antony Hickling, 2017) – quand, dans le même temps, le Royaume-Uni en a interdit... près de 200 ! Valentina Novati conteste notre analyse (commentaire ci-dessous) et s'interroge « sur une forme d'auto-censure - en lien avec une société beaucoup plus prude - qui complique largement l'exploitation de certains films ».

 

A la demande de la ministre de la Culture, elle-même saisie par les producteurs de Caniba, la Commission de classification s'est réunie le 3 juillet 2018 afin que de nouveaux membres puissent se prononcer sur le niveau de l'interdiction de représentation devant accompagner l'exploitation en salles du documentaire. Après un débat à huis clos et un vote secret, la Commission a décidé de maintenir sa proposition d'interdiction aux mineurs avec une motivation différente : « La Commission a confirmé le caractère extrêmement pénible, complaisant, selon certains, à l’égard des perversions des deux principaux protagonistes de ce documentaire, qu’il s’agisse de masochisme ou de cannibalisme notamment, et qui sont longuement filmées. Pour ces motifs, une majorité des membres a estimé nécessaire de protéger les mineurs de moins de dix-huit ans. »

 

Il appartient désormais à Françoise Nyssen de trancher : soit elle décide de suivre l'avis de la Commission et le producteur n'aura plus d'autres choix que d'attaquer la décision ministérielle devant la cour administrative d'appel de Paris à défaut de l'accepter ; soit la ministre ne suit pas la proposition formulée et attribue un visa avec un niveau de restriction moins sévère. On se souvient qu'en 2005, le ministre avait choisi de ne pas suivre l’avis de la Commission pour La Boîte noire de Richard Berry. La classification du film était passée d’une interdiction aux moins de 12 ans à une autorisation tous publics avec avertissement.

 

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V
Bonjour,<br /> <br /> Je vous remercie pour votre article. Mais je ne pense pas que ce que j'écris dans ma lettre soit contre-productif et erroné. Car comme vous l'écrivez vous même, très peu de films sont interdits en France aux moins de 18 ans et par ailleurs cette interdiction n'a pas du tout les même conséquences en France que dans les pays anglo-saxons où c'est monnaie courante. Donc en France une interdiction au moins de 18 ans équivaut à une presque mort commerciale du film, et je m'interroge par ailleurs sur une forme d'auto-censure - en lien avec une société beaucoup plus prude - qui complique largement l'exploitation de certains films. Bien à tous.
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D
Sans vouloir répondre à la place de la production, il est vrai qu'une interdiction aux mineurs revient souvent à limiter considérablement le nombre de salles susceptibles de programmer le film. Ceci étant, il existe des contre-exemples et dans le cas de Caniba, même si le réexamen du documentaire par la Commission dans quelques jours emporte une interdiction de niveau moindre, le nombre de salles acceptant de le projeter ne variera vraisemblablement pas beaucoup. La question se pose concernant la diffusion à la télévision, l'interdiction aux moins de 18 ans restreignant fortement les conditions de programmation.
F
C'est un raisonnement bien particulier de penser que le fait de prévoir une interdiction au moins de 18 ans constitue une censure du film. Le film n'est pas interdit de projection en salles. Le visa d'exploitation est bien délivré. Tous les majeurs peuvent voir le film. S'il y a une interdiction de montrer le film aux mineurs, c'est qu'il y a une raison et cette raison n'est-elle pas de protéger les mineurs, peut-être parce qu'ils n'ont pas la maturité et le recul nécessaire pour appréhender le contenu du film. Or, aucun argument n'est développé par la réalisatrice ou productrice pour justifier qu'un mineur de 16 ans (c'est le niveau d'interdiction demandé) a la maturité pour voir son film. Le seul argument avancé est que l'interdiction aux moins de 18 ans va tuer économiquement le film (donc la protection des mineurs, on s'en fout alors).
D
Merci pour votre commentaire.<br /> <br /> A mon sens, le fait d'écrire que la tendance des membres issus de la société civile et du monde associatif à rendre des avis qui relèvent de la censure des œuvres dans leur accès au public, revient à dire d'une part, que les membres du collège des professionnels se prononcent en fonction des seules conséquences du niveau d'interdiction proposé sur l'exploitation économique de l’œuvre présentée et, d'autre part, laisse également penser que les membres non professionnels proposent de plus en plus souvent des interdictions qui pénalisent la distribution donc l'amortissement en salles des films concernés. Une censure économique de fait selon votre analyse. Or, toutes les statistiques montrent au contraire que les propositions formulées par la Commission en France sont majoritairement très peu sévères par comparaison avec les décisions de classification prises partout ailleurs dans le monde. De plus, la position des membres des différents collèges qui composent la Commission est beaucoup moins tranchée et systématique que vous semblez le croire.<br /> <br /> In fine, la proposition adressée par le président de la Commission à la ministre de la Culture est toujours motivée avec précision (ce que contrôle dans le détail le juge depuis l'affaire du visa du film "Antichrist") en considération des dispositions du Code du cinéma (rappelées dans mon article) après un débat et un vote (secrets) à la majorité des membres présents organisés immédiatement après la projection.<br /> <br /> Si je comprends parfaitement votre commentaire sur "la mort commerciale du film", j'imagine aussi que "Caniba" est davantage destiné à un public averti, donc adulte, distribué prioritairement dans le réseau des salles d'Art et Essai, qu'à celui d'une distribution plus classique dans le réseau des multiplexes, lesquels paraissent souvent peu disposés à programmer des documentaires même interdits aux moins de 16 ans. Mais peut-être me trompe-je.<br /> <br /> Ceci étant dit, à l'instar des distributeurs de "Salafistes" qui ont d'abord demandé le réexamen du documentaire interdit aux moins de 18 ans par la ministre sur proposition de la Commission (articles sur ce blog), vous pouvez en cas de confirmation et de maintien de l'interdiction aux mineurs par la ministre, contester sa décision devant la cour administrative d'appel de Paris sachant que l'argument économique ne sera pas retenu. En cas de saisine, le juge va devoir contrôler la proportionnalité du niveau d'interdiction décidé par la ministre (et sa motivation) avec la nécessaire sauvegarde des jeunes spectateurs dont elle a la charge voire l'éventuelle atteinte portée à la dignité humaine (des missions précisées par le Code du cinéma). En justice, je vous rappelle que "Salafistes" est resté (à ce jour) interdit aux moins de 18 ans malgré différents recours.<br /> <br /> Bien à vous,<br />

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