La projection de Fragments de rêves (Bahia Bencheikh El Fegoun, 2017) qui devait clôturer la 16e édition des Rencontres cinématographiques de Bejaia le 6 septembre 2018, a finalement été annulée, le ministère algérien de la Culture ne lui ayant pas accordé de visa d'exploitation au grand dam de Leïla Aoudj, directrice artistique du festival : « Nous considérons ce non-octroi de visa culturel comme une atteinte à la liberté d’expression. [...] Nous n’avons eu aucune justification, aucune argumentation, de la part de la commission de visionnage chargée d’autoriser ou non la projection d’un film. »
A l'origine de la création des Rencontres cinématographiques de Bejaia (RCB) en 2002 et regrettant « un contexte où les libertés au sein du monde du cinéma algérien sont de plus en plus menacées », l'association Project'heurts a annoncé dans un communiqué de presse la suspension du festival tant que les conditions de libre exercice ne seront pas assurées : « N’ayant aucune information sur cette commission chargée d’octroyer les visas culturels pour la projection des films, ni sur les critères d’octroi ou non de ces visas, une demande de recours a été adressée par les RCB au ministère de la Culture, sans réponse à ce jour des autorités concernées. L’équipe des RCB prend acte de cette décision et compte agir dans le cadre du respect de la loi. »
Le ministère de la Culture a fini par réagir, expliquant que la Commission n'a fait qu'appliquer la loi de 2011 et l’article 6 du décret du 29 juillet 2013 pour interdire “les films cinématographiques qui portent atteinte aux religions, à la guerre de libération nationale, ses symboles et son histoire, qui glorifient le colonialisme, qui incitent à la haine, à la violence et au racisme et qui portent atteinte à l’ordre public ou à l’unité nationale et aux bonnes mœurs”. Le ministre Azeddine Mihoubi a ajouté que l’interdiction de projection de Fragments de rêves n'est pas une “censure”, invitant les organisateurs des RCB à poursuivre leur action dans le “respect des lois”, et rappelant que la projection de films algériens dans des pays étrangers obéit également à des règles précises.
Lauréat du Grand prix du Festival du cinéma palestinien en Sardaigne, Meilleur reportage au Festival international du cinéma et de l’audiovisuel du Burundi, le documentaire Fragments de rêves revient pendant 75 minutes sur les mouvements sociaux survenus en Algérie depuis 2011.
Kamel Medjedoub nous rappelle sur le site elwatan.com que la 14e édition des RCB avait déjà été marquée par la censure de Vote off de Fayçal Hammoum dont nous vous parlions sur ce blog il y a tout juste deux ans, un documentaire présentant de jeunes Algériens qui ne croyaient pas à l’utilité d'aller voter à la veille des élections législatives de 2017. Avec l'interdiction de fait de Fragments de rêves, le scénario se répète cette fois-ci à la veille de la prochaine élection présidentielle de 2019.
Dimanche 9 septembre 2018, l'ambassade de France à Alger a dû démentir toute ingérence et tout financement massif des Rencontres cinématographiques de Bejaïa après la publication d'un article mis en ligne par dia-algerie.com rapportant un conflit d’intérêt entre le service culturel de l’ambassade de France (via l'institut français d'Algérie) et les organisateurs du festival de cinéma indépendant.