
La violence au cinéma a toujours été un sujet controversé, car même si elle caractérise la nature intrinsèque de l'être humain et la société dans laquelle il évolue, la montrer à l'écran, sous toutes ses formes, en gros plan ou seulement en la suggérant, même pour la dénoncer, dérange bien souvent les spectateurs que nous sommes et les pouvoirs publics qui, sous prétexte de protéger les plus jeunes, peuvent parfois être amenés à contrôler voire à censurer sa représentation en bridant corrélativement les investissements de l'industrie cinématographique.
Le 167e numéro de CinémAction intitulé sobrement Violence, censure et cinéma, publié en septembre 2018 aux Éditions Charles Corlet, a pour ambition de parler d'une problématique que nous avions déjà essayé d'aborder au mois de juillet 2017 à l'occasion de la sortie de Gore & Violence, le premier volume de la collection Darkness, Censure et Cinéma proposée par Jean-François Jeunet chez LettMotif.
Coordonné par notre ami Albert Montagne – auteur d'une Histoire juridique des interdits cinématographiques en France (1909-2001) éditée par L'Harmattan en 2007 et concepteur du célèbre Big blog, notes cinéphiles et censoriales – l'ouvrage collectif parle donc de violence au cinéma sur près de 160 pages. Albert Montagne a rassemblé depuis 2012 les textes fouillés de seize contributeurs qui tous proposent d'illustrer la thématique d'une manière différente.
Les violences de Quand l'embryon part braconner (par Albert Montagne qui nous offre aussi un entretien avec Gilles Boulenger, le distributeur français du film de Wakamatsu interdit aux mineurs en France quarante-deux ans après sa réalisation), Antichrist (par Magalie Flores-Lonjou, maître de conférences en droit public à l'Université de La Rochelle, co-fondatrice du blog Droit et cinéma et des rencontres organisées à l'occasion du Festival international du film de La Rochelle), Baise-moi (par Marion Poirson-Dechonne) y sont disséquées avec minutie car ces films ont tous contribué malgré eux à l'évolution du droit administratif et de ce que les juristes appellent la police spéciale du cinéma.
Des analyses plus générales nous permettent également de poursuivre la mise en perspective législative et jurisprudentielle voulue par Albert Montagne dans une première partie. Ainsi, Christophe Triollet s'interroge sur la frilosité du cinéma français pour financer et faire des films d'horreur et de violence, une réflexion que prolonge notre confrère Alain Brassart dans une approche plus sociale de la violence à l'écran. Eric Peretti (un des auteurs historiques de Darkness) et Sylvain Luet évoquent quant à eux l'histoire de la violence dans le cinéma américain tandis que Jacques Viguier examine pour nous la violence horrifique du film Kill List de Ben Wheatley dont une photographie a été choisie pour illustrer la couverture de ce numéro. Le travail de Mathieu Kassovitz est décortiqué par David Da Silva, la figure du zombie à l'écran est observée par Nadine Boudou et Rhoda Desbordes-Vela pose son regard de docteure en sciences de l'information et de la communication sur la violence du cinéma latino-américain du début du XXIe siècle.
Le sujet étant inépuisable et passionnant, Albert Montagne a demandé à notre camarade Laurent Garreau, mais aussi à Lucile Desmoulins et Bruno Girard de travailler sur l'image de la violence. Le premier revient sur le vieux débat du lien supposé ou réel entre la violence des images et le comportement de celles et ceux qui les regardent, le deuxième écrit sur les violences physique et symbolique dans les images du travail, et le troisième sur la violence des images vidéocapturées.
Avant de conclure l'ouvrage en glissant un entretien avec Jean-François Mary, président de la commission de classification des œuvres cinématographiques de 2012 à 2017, Albert Montagne offre aux lecteurs un article sur la violence des affiches de cinéma et un autre, bien plus dérangeant, sur la violence face à l'écran, la violence dans la salle de cinéma, cette violence bien réelle parfois provoquée par de jeunes spectateurs totalement irrespectueux. Une violence insupportable qui dorénavant dissuade les exploitants à programmer et projeter des films d'horreur ou de violence.
En droite ligne de 50 films qui ont fait scandale (CinémAction n° 103) et de Les dessous du cinéma porno (CinémAction n° 59), Violence, censure et cinéma (CinémAction n° 167) doit donc impérativement figurer dans la bibliothèque de tous les cinéphiles, de tous les juristes, de tous les journalistes, de tous les historiens, de tous les sociologues et tous les curieux qui s'intéressent peu ou prou à la question de la violence.
Violence, censure et cinéma, dirigé par Albert Montagne
CinémAction n° 167, 156 pages
Éditions Charles Corlet
24,00€