Alexandre Devecchio nous apprend que le documentaire Salafistes (Lemine Ould Salem et François Margolin, 2015) est projeté au Cinéma Village de New York depuis le 25 janvier 2019. L'événement est présenté de la manière suivante :
Banned in France (as ‘Salfistes’), JIHADISTS goes deep into the heart of the Salafi movement, to reveal the inner workings of extremist Islam.
A pair of Western filmmakers were granted unparalleled access to fundamentalist clerics of Sunni Islam who proselytize for a “purer” form of Islam--including jihad of the sword--in Mali, Tunisia, Iraq and Afghanistan. Their theoretical interpretations are juxtaposed against images and footage from recruitment videos to show the hardline application of sharia law. Without experts contextualizing these events, the film, which inspired the Oscar-nominated feature, “Timbuktu”, paints a stark portrait of everyday life under jihadirule.
Co-directed by Lemine Ould Salem of Mauritania and France’s François Margolin, an earlier version of the film was released in the days following the 2015 Charlie Hebdo attack in Paris where it was mistakenly interpreted as an empathetic portrayal of jihadism.
Rappelons qu'après avoir été interdit aux spectateurs de 18 ans par la ministre de la Culture le 27 janvier 2016, puis autorisé tous publics quelques jours après le jugement du 12 juillet 2016, ensuite interdit temporairement aux moins de 16 ans par Audrey Azoulay le 29 juillet 2016, Salafistes est interdit aux mineurs depuis le 30 septembre 2016, la cour administrative d’appel de Paris estimant que la présence de « scènes de très grande violence » est un « moyen sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement ». Une décision confirmée par le Conseil d’État en juin 2017 puis de nouveau par la cour administrative d'appel de Paris le 14 novembre 2017 et le 12 juin 2018.
Dans un long entretien donné au Figaro, François Margolin revient sur l'interdiction du film aux mineurs.
Nous choisissons d'en reproduire des extraits :
Votre film est sorti il y a deux ans et demi en France : comprenez-vous aujourd'hui les raisons de sa censure ?
Je ne les comprends toujours pas et je ne comprends pas non plus que les différents ministres de la Culture qui se sont succédé depuis maintiennent la mesure. Avec obstination. Mais, en même temps, avec le recul, je vois mieux comment notre film va à contresens du discours officiel sur l'Islam. Je pense qu'on ne peut pas voir le film sans penser que les djihadistes sont musulmans, et c'est cela qui gêne.
Mon propos n'est évidemment pas de dire que tous les Musulmans sont des terroristes, mais il va à l'encontre de la doxa qui voudrait qu'il ne s'agisse que de fous, qu'on pourrait guérir avec des pilules rouges ou bleues, ou par des électrochocs, comme on faisait dans le temps, avec les dissidents, en Union Soviétique. En France nous sommes en plein déni. On est dans la psychiatrisation du terrorisme. Et c'est cela qu'a voulu interdire le gouvernement. Or, comme on le voit dans Salafistes, très clairement, on a affaire à des gens dotés de raisonnements, qui obéissent à une logique. C'est un terrible désaveu que de constater que tout est beaucoup plus compliqué que de simples problèmes psychiatriques.
En plus, c'était très hypocrite - et humiliant à titre personnel-de me faire passer pour quelqu'un soupçonnable d'adhésion au salafisme. Eux-mêmes, au gouvernement, n'y croyaient pas vraiment car ils savaient ce que j'avais fait avant. Mais un des arguments de Fleur Pellerin, à l'époque, avait été de dire que des jeunes pouvaient être convaincus par le film de partir faire le jihad. Non seulement, cela en disait long sur la croyance qu'avait la Ministre en ses propres valeurs -si soixante-quinze minutes de film sont plus efficaces que des dizaines d'années d'éducation... - mais l'argument tombe de lui-même aujourd'hui puisqu'il n'y a plus d'État islamique! Donc, plus de départs potentiels.
Cette censure prouve juste qu'il y a une vraie volonté de vouloir nier que le salafisme est une tendance profonde et ancienne, très répandue dans l'histoire de l'Islam, de manière récurrente à travers les siècles, et qui perdure dans certains États, que certains adorent au plus haut niveau de l’État, comme l'Arabie Saoudite de Mohammed Ben Salman. C'est, je crois, là, qu'il faut chercher la vraie raison de la censure. L'enjeu était en effet de taille : le film était coproduit par deux chaînes, France 3 et Canal +, et en le censurant complètement ou même en l'interdisant aux moins de dix-huit ans, on empêchait ces chaînes de le diffuser à des millions de téléspectateurs. Jeunes ou pas.
Le fait que votre film soit toujours censuré, quatre ans après Charlie Hebdo, ne signifie-t-il pas qu'une partie de la classe politique est dans le déni ?
Je crois qu'on est face à une forme fondamentale de déni français. On nie totalement ce qu'il se passe en banlieue, on nie que certaines cités sont interdites aux policiers, on nie que les jeunes filles musulmanes, qui travaillent à Paris ou vont y faire du shopping, sont obligées d'avoir d'autres vêtements quand elles rentrent le soir en banlieue à cause des «grands frères», on nie que les enfants juifs du 9-3 doivent aller à l'école tous les matins dans d'autres départements, on nie que la défense du frère de Mohamed Merah a été payée par des gens qui se sont cotisés dans les cités de la banlieue toulousaine. Tout cela concourt à une forme d'acceptation globale de l'islamisme en général par les autorités. On accepte des choses inacceptables. C'est une honte par rapport à ce que sont les valeurs de la France.
Et la classe politique, dans sa quasi-totalité, le fait pour de très mauvaises raisons: à gauche, dans une mauvaise conscience postcoloniale, à gauche comme à droite, pour des raisons électoralistes. Je crois que le blocage de la carrière du film en France est symptomatique d'un état d'esprit qui se perpétue et empêche un certain nombre de films de montrer la réalité. Cette réalité. C'est inconcevable pour tous les gouvernements, de droite, de gauche et, même aujourd'hui, du centre, ainsi que pour tous les ministres de la Culture, de faire fi de ce déni.
Pensez-vous qu'il y ait aussi un déni médiatique ?
J'ai été très surpris de l'accueil du film par la presse. Au départ, nous avons été reçus partout, dans les médias télés ou radio, et, à partir du jour où il y a eu cette prise de position de la ministre de la Culture, la plupart des médias ont suivi la «ligne officielle du parti», certains en retournant leur veste, beaucoup d'autres, en ne défendant même plus la liberté d'expression.
Cela a été la même chose pour beaucoup de sociétés d'auteurs, pour la plupart des associations de producteurs ou de réalisateurs. Des organismes toujours très prompts à réagir quand un réalisateur russe se fait emprisonner ou quand un réalisateur iranien est empêché de tourner. Cela dérange visiblement moins quand c'est en France, étrangement. J'ai en revanche été très fier de la défense de personnalités importantes comme Claude Lanzmann ou les frères Dardenne.
Quand on se retrouve censuré comme cela, et seul face à tous, alors qu'on sait qu'on a raison, cela peut être assez déprimant sur le plan personnel. Ce n'est pas toujours simple, quand on sait qu'on a raison mais que ce ne sera reconnu que quinze ans plus tard.
Le principe de la censure - comme ce fut le cas pour des films de Jean Renoir ou de Chris Marker, ou de Resnais, ou de François Truffaut - c'est qu'elle n'est jamais définitive. Elle disparaît toujours un jour, et ce sont souvent des œuvres qui finissent par être reconnues de tous et dont on se souvient à peine qu'elles furent censurées. Être censuré, c'est ne pas être en adéquation avec la morale d'une époque, et je vois là, avec notre film, que je ne suis pas sur la ligne qu'il faut. Heureusement cette ligne est peu à peu en train d'évoluer. Dans les mentalités. Mais pas vraiment au niveau politique. Ne passent à la télévision que des films bien pensants sur l'Islam, avec le même déni permanent: ce sont en général des néo-convertis qui partent faire la guerre, alors qu'ils ne sont qu'un pourcentage minime des combattants là-bas. Comme si tout cela n'avait «rien à voir avec l'Islam».
L'entretien complet est disponible : ICI.