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CENSURE & CINEMA

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Collection Darkness, censure et cinéma


Le film Grâce à Dieu pourra bien être exploité en salles... pour le moment

Publié par darkness-fanzine.over-blog.com sur 19 Février 2019, 20:32pm

Catégories : #interdiction, #Grâce à Dieu, #censure, #Religion, #référés, #ozon, #Preynat, #Pédophilie, #Présomption d'innocence

Le 18 février 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a débouté l’ancien aumônier scout Bernard Preynat qui demandait le report de la sortie du film Grâce à Dieu (François Ozon, 2019) pour atteinte à la présomption d’innocence, l'affaire de pédophilie découverte au sein de l'église racontée dans le film n'ayant pas encore été jugée.

 

A l’appui de sa décision, le juge relève que le procès de Bernard Preynat, mis en examen pour atteintes sexuelles sur mineurs de quinze ans, n’étant ni fixé ni prévu à une date proche, un report « pourrait à l’évidence conduire, compte tenu des divers recours possibles, à ne permettre [la] sortie [du film] que dans plusieurs années » dans des conditions qui « porteraient atteinte à la liberté d’expression et de création » et « créeraient des conditions d’exploitation économiques insupportables ».

 

Pascale Robert-Diard précise que cet argument financier a largement été développé à l’audience par la défense des sociétés de production et de distribution du film, qui ont indiqué que des copies avaient déjà été livrées dans 307 salles et qu’une vaste campagne publicitaire d'un million d’euros avait déjà été engagée.

 

Le juge rejette également les deux autres moyens présentés par la défense (suppression des prénom et nom de Bernard Preynat et insertion d’un rappel de sa présomption d’innocence dès le début du film).

 

Le juge considère en effet, d'une part, que la suppression des nom et prénom aurait des « conséquences disproportionnées » sur la date de sortie du film et qu’un tel changement « ne serait pas de nature à empêcher l’identification évidente » de l’ancien aumônier scout de Sainte-Foy-lès-Lyon.

 

D'autre part, après avoir rappelé que l'atteinte à la présomption d'innocence suppose que la diffusion litigieuse contienne des conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité, il estime que l'un des trois cartons mentionnant à la fin du film que « le père Preynat est présumé innocent jusqu’à son procès » permet de ne pas présenter sa culpabilité comme acquise et qu’il suffit à « l’information de tous les spectateurs ».

 

Rappelons que l'ordonnance du juge des référés est provisoire, qu'elle a été rendue sous le signe de l'urgence eu égard à la date de sortie du film et des dommages susceptibles d'en résulter, et qu'elle pourra être annulée ou confirmée par le tribunal de grande instance de Paris, ultérieurement, au moment de l'examen de la demande sur le fond. Notons aussi que Bernard Preynat a décidé de faire appel de la décision du juge.

 

Ajoutons que le juge des référés a pris soin d’indiquer que le raisonnement appliqué au film de François Ozon repose essentiellement sur l’éloignement de la date à laquelle Bernard Preynat comparaîtra devant un tribunal : « Il en irait autrement si la sortie du film devait coïncider avec les débats judiciaires », ajoutant que cette décision ne présume en rien « les éventuelles poursuites que pourrait engager Bernard Preynat en réparation de son préjudice pour atteinte à la présomption d’innocence ».

 

En résumé, pour le juge judiciaire des référés - qui vise l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme du 4 novembre 1950 relative à la liberté d'expression -, la demande de report de la sortie du film, même si elle poursuit un but légitime n’est pas proportionnée ni nécessaire à l’atteinte portée à la présomption d’innocence (le juge s'appuie ici sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme relative aux conditions autorisant les restrictions à l'exploitation d'une œuvre cinématographique).

 

Une précaution que ne prend pas toujours le juge administratif des référés lorsqu'il décide de suspendre le visa d'exploitation d'un film pour protéger les mineurs considérant que son niveau d'interdiction est insuffisant. On se souvient, par exemple, que le 15 mars 2018 à la demande de l'association Promouvoir, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Paris, après avoir admis l'urgence de la situation « au regard de la nécessité d'assurer la protection de l'enfance », a décidé de suspendre (en partie) le visa d'exploitation tous publics de Cinquante Nuances plus claires (James Foley, 2018) en tant qu'il n'interdisait pas sa représentation aux mineurs de 12 ans. Une décision qui sera confirmée deux mois plus tard sur le fond.

 

Mais revenons à la procédure judiciaire visant le film Grâce à Dieu de François Ozon.

 

Mardi 19 février 2019, le tribunal de grande instance de Lyon, saisi par la voie du référé par Régine Maire - ex-bénévole laïque du diocèse de Lyon et psychologue de formation qui avait été chargée par le cardinal Philippe Barbarin en 2014 de recevoir l’une des victimes - dont le nom est cité à de multiples reprises, a également rejeté la demande visant à la suppression de son patronyme. Dans sa décision, le juge estime en effet que le film ne porte pas atteinte à la vie privée de Régine Maire, cette dernière ayant agi en tant que psychologue bénévole au diocèse, un domaine relevant de la vie publique.

 

Pour conclure, observons qu'en 1985, la Cour de cassation a validé une requête équivalente avant la sortie du film Mesrine (André Genovès, 1984) considérant qu'une atteinte à la vie privée peut justifier une limitation du droit à la liberté d'expression quand aucune autre mesure n'est susceptible de la préserver. Une position réaffirmée par la Cour de cassation en 2015 dans une autre affaire, le juge validant l'interdiction de diffusion télévisée d'Intime Conviction (Remy Burkel, 2014), un téléfilm qui présentait un procès inspiré de l'affaire Muller, un médecin légiste pourtant définitivement acquitté du meurtre de sa femme.

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