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CENSURE & CINEMA

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Collection Darkness, censure et cinéma


Salafistes : Avec la décision Société Margo Cinéma, le Conseil d’État consacre la liberté d'information du documentaire au cinéma

Publié par darkness-fanzine.over-blog.com sur 9 Avril 2019, 21:15pm

Catégories : #censure, #interdiction, #18 ans, #16 ans, #François Margolin, #Conseil d'Etat, #liberté d'information, #Salafistes

On en sait un peu plus sur le contenu de la décision du Conseil d’État du 5 avril 2019 qui a annulé l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris du 14 novembre 2017 qui lui même avait annulé le jugement du tribunal administratif de Paris du 12 juillet 2016 qui annulait l'interdiction aux moins de 18 ans du film Salafistes...

 

Bref, au terme d'une procédure de quatre années, le Conseil d’État affirme que l'interdiction aux mineurs du documentaire de Lemine Ould Salem et François Margolin, décidée par la ministre de la Culture au moment de sa sortie en salles, était manifestement excessif.

 

Alors quelle motivation alimente cette décision ?

 

La décision Société Margo Cinéma du 5 avril 2019

 

Après avoir rappelé que « lorsqu’une œuvre cinématographique comporte des scènes violentes, il y a lieu de prendre en considération, pour déterminer si la protection de l’enfance et de la jeunesse et le respect de la dignité humaine justifient » une interdiction aux moins de 18 ans « la manière dont elles sont filmées, l’effet qu’elles sont destinées à produire sur les spectateurs, notamment de nature à présenter la violence sous un jour favorable ou à la banaliser, enfin, toute caractéristique permettant d’apprécier la mise à distance de la violence et d’en relativiser l’impact sur la jeunesse », le Conseil d’État précise que pour « ce qui concerne les films à caractère documentaire, qui visent à décrire la réalité des situations dont ils portent témoignage et qui ont ainsi pour objet de contribuer à l’établissement et à la diffusion de connaissances, l’appréciation doit être portée […] compte tenu de la nécessité de garantir le respect de la liberté d’information, protégée notamment par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et par l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

 

Si l'on sait depuis la jurisprudence Société Rome-Paris-Films de 1975, que le juge administratif contrôle si la décision ministérielle de classification d'un film est nécessaire et proportionnée à l’atteinte portée à la liberté d’expression eu égard à la protection de la jeunesse et au respect de la dignité humaine dont le ministre de la Culture a la charge, il semble qu'avec la décision Société Margo Cinéma du 5 avril 2019, le Conseil d’État a étendu pour la première fois son contrôle à la liberté d'information pour les œuvres de cinéma dans le cas du documentaire.

 

Une fois le cadre posé, après avoir constaté que « Salafistes comporte des scènes violentes montrant de nombreuses exactions, assassinats, tortures, amputations, réellement commises par des groupes se revendiquant notamment des organisations Daech et Al-Qaïda au Maghreb islamique et présente, en parallèle, les propos de plusieurs protagonistes légitimant les actions en cause, menées contre des populations civiles, sans qu’aucun commentaire critique n’accompagne les scènes de violence », le juge administratif précise que, toutefois, « ces scènes s’insèrent de manière cohérente dans le propos du film documentaire, dont l’objet est d’informer le public sur la réalité de la violence salafiste en confrontant les discours tenus par des personnes promouvant cette idéologie aux actes de violence commis par des personnes et groupes s’en réclamant ».

 

Il ajoute : « En outre, tant l’avertissement figurant en début de film que la dédicace finale du documentaire aux victimes des attentats du 13 novembre 2015 sont de nature à faire comprendre, y compris par des spectateurs âgés de moins de dix-huit ans, l’objectif d’information et de dénonciation poursuivi par l’œuvre documentaire, qui concourt ainsi à l’établissement et à la diffusion de connaissances sans présenter la violence sous un jour favorable ni la banaliser. »

 

Le Conseil d’État conclut alors : « Il en résulte, compte tenu de l’objet du film documentaire et du traitement de la violence qu’il retient, et eu égard à la nécessité de garantir le respect de la liberté d’information, y compris à l’égard de mineurs de dix-huit ans, que les scènes violentes du film documentaire intitulé Salafistes ne sont pas de nature à être qualifiées de scènes de ''très grande violence'' au sens des dispositions du 4° de l’article R. 211-12 du code du cinéma et de l’image animée. »

 

Pas de scènes de très grande violence, un contexte narratif suffisamment clair et un avertissement utile... Pour le Conseil d’État, pas de doute, le documentaire ne fait qu'informer le public sur la réalité de la violence salafiste en confrontant les discours tenus par des personnes promouvant cette idéologie aux actes de violence commis par des personnes et groupes s’en réclamant.

 

Entretien avec François Margolin

 

Dans un entretien donné à Alexandre Devecchio le 9 avril 2019, François Margolin déclare : « C’est une victoire pour la liberté d’expression, pour le droit à l’information et pour la liberté, en général. J’espère que cette décision fera jurisprudence, et qu’elle permettra aux ministres actuels et futurs de ne pas faire les mêmes erreurs que leurs prédécesseurs. Qu’elle les poussera à ne pas interdire un documentaire comme on le faisait à l’époque où il existait un ministère de l’Information qui régentait tout. Comme dans une république bananière. Comme en Union Soviétique. Il ne faut pas oublier que Salafistes est le premier documentaire pour le cinéma à avoir été interdit depuis la Guerre d’Algérie, depuis 1962 ! Je suis allé présenter le film aux États-Unis il y a deux mois, et on peut dire ce que l’on veut sur ce pays mais une chose est sûre: la liberté d’expression - j’allais dire d’opinion - est garantie par le 1er Amendement de la Constitution, et c’est vraiment plaisant. J’avoue que c’est aussi une victoire sur tous ceux qui adorent lutter contre la censure quand elle a lieu en Iran ou en Chine mais qui s’en moquent quand cela se passe dans leur propre pays, sous leurs yeux... »

 

Observons que, contrairement à ce qui est déclaré, Salafistes n'a pas été interdit en France même s'il est vrai que son interdiction aux moins de 18 ans a contrarié son exploitation en salles. De plus, même s'ils sont peu nombreux, d'autres documentaires ont déjà été interdits aux mineurs récemment dans notre pays.

 

Citons par exemple Caniba (Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor, 2017) qui raconte l’incroyable histoire d’Issei Sagawa, un étudiant japonais qui en 1981, avait tué puis dévoré en partie une de ses camarades. Après être passé à deux reprises devant la Commission de classification, le ministre suit l'avis qui lui est proposé et interdit le documentaire aux moins de 18 ans en raison du « caractère extrêmement pénible, complaisant, selon certains, à l’égard des perversions des deux principaux protagonistes de ce documentaire, qu’il s’agisse de masochisme ou de cannibalisme notamment, et qui sont longuement filmées ».

 

Citons encore le documentaire sur les coulisses du cinéma pornographique Il n'y a pas de rapport sexuel (Raphaël Siboni, 2012), interdit aux mineurs par le ministre qui, selon l'avis de la Commission, « comporte de nombreuses scènes destinées à un public majeur, et notamment des scènes de sexe non simulées ».

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