
Chantal Rayes nous apprend que le documentaire Chico : Artista brasileiro (Miguel Faria Jr, 2015) vient tout juste d’échapper à la censure de l’ambassade brésilienne en Uruguay, qui a tenté d’empêcher sa projection lors d’un festival organisé à Montevideo au mois d’octobre 2019. Le film controversé raconte l’histoire du chanteur brésilien Chico Buarque, une figure emblématique de la Gauche populaire et un opposant au président Jair Bolsonaro, lequel, rappelons-le, a supprimé le ministère de la Culture - désormais remplacé par un secrétariat dépendant d’un autre portefeuille - et baissé très fortement le plafond des crédits d’impôts qui financent et aident à la création.
Notons par ailleurs, le report sine die de la sortie en salles de Marighella (Wagner Moura, 2019) initialement programmée le 19 septembre 2019. Cette adaptation de la biographie d’un guérillero communiste noir, éliminé par la dictature militaire au pouvoir de 1964 à 1985, a fortement irrité les autorités d’autant plus que le film a obtenu - avant l’élection de Bolsonaro -, un financement de l’Agence nationale du cinéma (Ancine), un peu l’équivalent du centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) en France. Habituellement accommodante, l'Ancine a finalement refusé d’anticiper le calendrier de ses versements, une décision qui pourrait contrarier la sortie du film prévue le 20 novembre prochain, date commémorative de l’émancipation noire au Brésil.
Pour mieux contrôler l’agence, dotée (en principe) d’une large autonomie, il semble que le gouvernement souhaite la transférer, au moins partiellement, de Rio vers Brasília, pour ensuite nommer à sa tête un homme de confiance disposé à imposer des filtres moraux et religieux dès la production d’une œuvre de cinéma : « Je ne peux pas accepter que l’on tourne des films comme Bruna Surfistinha (2011) avec de l’argent public », a ainsi affirmé le président Bolsonaro en critiquant vivement le financement du long-métrage de Marcus Baldini : « Si nous ne pouvons pas avoir de filtres, je vais mettre un terme à l’Ancine. Nous ne pouvons pas utiliser de l’argent public pour tourner des films pornographiques. » Bruna Surfistinha raconte l’histoire vécue d’une adolescente de la classe moyenne qui a décidé de se prostituer.
Le président Bolsonaro se défend de pratiquer la censure, même s'il ne cesse de mettre en avant la nécessité de « filtres » dans les subventions destinées aux projets culturels.
« Je ne vais pas faire l'apologie des filtres culturels. Pour moi, ça a un nom : censure. Si c'est pour applaudir à la censure, je préfère être au chômage », avait affirmé Henrique Pires - ancien secrétaire à la Culture du gouvernement dont le poste a été supprimé fin août 2019 - excédé par la suspension d'un appel à projets pour des séries destinées à la télévision publique. Lors d'un live sur Facebook le 15 août 2019, le président Bolsonaro lui-même a énuméré chacun des synopsis avec ironie : « Celui-ci raconte l'histoire d'une ex-nonne lesbienne. […] Franchement, chacun fait ce qu'il veut avec son corps, mais dépenser de l'argent public pour ça ! » avant de jeter la feuille de papier : « Encore un qui va à la poubelle », s'était-il félicité.
La série écartée violemment par le Président s'appelle Religare Queer et aborde la présence d'homosexuels parmi les fidèles des grandes religions. Son scénariste ne décolère toujours pas : « C'est une décision complètement arbitraire, on a été censuré. » Kiko Goifman est également le coréalisateur du film Bixa Travesty, qui a remporté le Teddy Award, trophée LGBT du Festival de Berlin, mais n'a toujours pas été distribué au Brésil.