
Le 20 novembre 2019, la collectivité Est Ensemble, qui regroupe neuf communes de Seine-Saint-Denis, déclare que ses salles ne projetteront pas J’accuse (Roman Polanski, 2019) après l'accusation de viol proférée par l’actrice Valentine Monnier à l’encontre du réalisateur quelques jours seulement avant la sortie du long-métrage.
Ce choix provoque alors la fureur des six directeurs de salles concernés, qui dénoncent une forme de censure : « Nous demandons dès à présent à nos élus la liste des cinéastes dont nous n'aurons plus le droit de programmer les films et la définition de leurs critères », a ainsi écrit sur Facebook Stéphane Goudet, le directeur du cinéma Méliès, à Montreuil, en ajoutant : « Un comité de vérification de la moralité des artistes programmés est-il prévu, puisque la liberté individuelle des spectateurs n'est pas suffisante ? »
Face au tollé général provoqué par cette annonce, le président socialiste de la collectivité, Gérard Cosme, a déclaré dans la soirée avoir finalement renoncé à demander la déprogrammation du film : « J'ai échangé avec eux sur la liberté artistique. Après avoir entendu chacun, en mon âme et conscience, je maintiens la programmation de J'accuse », a-t-il expliqué, en précisant avoir demandé que des débats accompagnent la diffusion du film. Ailleurs, certains directeurs de salles cèdent à la pression tel celui du Théâtre Auditorium de Poitiers, qui décide de déprogrammer le film le 26 novembre « par souci d'apaisement ».
Ce n’est pas la première fois que Roman Polanski fait l’objet d’un appel au boycott. On se souvient qu’au mois d’octobre 2017, des féministes s’étaient rassemblées pour empêcher le cinéaste d'accéder à la rétrospective que lui avait alors consacré la Cinémathèque française. En pleine affaire Harvey Weinstein qui a révélé au monde les agressions sexuelles de ce producteur américain, l’hommage rendu au cinéaste faisait figure de provocation pour l’association Osez le féminisme : « Par le choix assumé de cette rétrospective Polanski, par la négation des faits criminels qui lui sont reprochés, la Cinémathèque participe à l’idée que violer une enfant ce n’est pas si grave devant le ''génie de l’artiste''. »
Dans un article mis en ligne le 30 octobre 2017 sur le site lacroix.com, Céline Rouden pose une question essentielle : « Peut-on dissocier l’homme de l’artiste ? » Question à laquelle la Cinémathèque française, qui a organisé une rétrospective de l’œuvre de Roman Polanski, a répondu dans un communiqué publié le 25 octobre suivant : « Fidèle à ses valeurs et à sa tradition d'indépendance, La Cinémathèque n'entend se substituer à aucune justice. Son rôle de Musée du cinéma ne consiste pas à placer qui que ce soit sur un quelconque piédestal moral. Ceux qui nous reprochent cela ne mettent jamais les pieds dans nos salles et ignorent tout de nos missions de conservation et de transmission. […] Nous ne décernons ni récompenses ni certificats de bonne conduite. Notre ambition est autre : montrer la totalité des œuvres des cinéastes et les replacer ainsi dans le flux d'une histoire permanente du cinéma. De ce point de vue, l'œuvre de Polanski [...] nous paraît [...] plus que jamais indispensable. »
Âgé de 86 ans, Roman Polanski fait toujours l’objet de poursuites judiciaires aux États-Unis pour des faits d’agression sexuelle et de viol sur une adolescente de 13 ans qui se sont déroulés il y a quarante ans. Des accusations qu’il a toujours niées mais qui l’ont conduit à s’enfuir des États-Unis en 1978 pour se soustraire à la justice et lui interdisent depuis de remettre les pieds dans ce pays.
Notons aussi qu'en 2017, Roman Polanski avait été contraint de renoncer à présider la cérémonie des César sous la pression d’associations féministes.
Rappelons enfin que face à la polémique engendrée par la rétrospective Roman Polanski, la Cinémathèque française avait décidé le 8 novembre 2017, de reporter sine die celle qui devait être consacrée à Jean-Claude Brisseau, le réalisateur de Noce blanche (1989, avec Vanessa Paradis), condamné en 2005 pour harcèlement sexuel de deux jeunes actrices qui espéraient décrocher un premier rôle dans son Choses secrètes (2002) : « Dans un souci d’apaisement, Costa-Gavras, président de La Cinémathèque française, a décidé de repousser la rétrospective consacrée à Jean-Claude Brisseau, initialement prévue en janvier 2018. Il espère qu’elle pourra se tenir très prochainement, dans un climat plus serein et plus propice à la bonne réception de cette œuvre importante du cinéma français », expliquait alors le communiqué de presse.
Jean-Claude Brisseau est mort le 11 mai 2019, sans rétrospective.