/image%2F0558978%2F20211009%2Fob_419c23_capture-d-ecran-2021-10-09-113417.jpg)
Alors que le tribunal judiciaire de Paris a rejeté le vendredi 8 octobre 2021 le recours formé le 28 juillet dernier par deux associations de protection de l'enfance (e-Enfance et La Voix de l'enfant) visant à contraindre six fournisseurs d’accès à Internet (FAI) - Bouygues Telecom, Free, Orange, SFR, Colt Technology Services et Outremer Telecom - à prendre les mesures nécessaires pour interdire l’accès des mineurs à neuf sites à caractère pornographique (Pornhub, Redtube, Tukif, XNXX, xHamster, xvideos, YouPorn, IciPorno et MrSexe), le collectif Stop au porno se félicite de la publication, bien que tardive, du décret n° 2021-1306 du 7 octobre 2021 relatif aux modalités de mise œuvre des mesures visant à protéger les mineurs contre l'accès à des sites diffusant un contenu pornographique qui, hasard du calendrier, devrait dorénavant imposer aux sites de mettre en place un dispositif technique permettant de contrôler l’âge des internautes qui souhaitent les visiter.
Un dispositif ambitieux qui risque cependant d’être compliqué à mettre en œuvre si l’on se réfère aux propos de Maître Laurent Bayon, l'avocat des deux associations déboutées, lequel expliquait début septembre, que faute de pouvoir atteindre les sociétés détenant les sites pornographiques, souvent domiciliées dans des paradis fiscaux, la requête visait leurs opérateurs télécoms : « Il y a une grande opacité qui fait qu'il n'est pas possible d'assigner les personnes qui sont aux responsabilités des sites. Mais les fournisseurs d'accès sont tenus de coopérer à la prévention de la pornographie sur Internet devant la loi. » Un doute partagé par de nombreux juristes tel Marc Le Roy qui le 8 octobre sur son compte Twitter, s’interroge : « Les sites non établis en France seront-ils concernés par cette nouvelle procédure offerte au CSA ? Pas sûr... »
Mais que dit le fameux décret publié jeudi matin ?
Il s’agit en réalité du décret d’application de l’article 23 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 qui vise à protéger les victimes de violences conjugales, lequel dispose que « lorsqu'il constate qu'une personne dont l'activité est d'éditer un service de communication au public en ligne permet à des mineurs d'avoir accès à un contenu pornographique en violation de l'article 227-24 du Code pénal », le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) lui adresse, « par tout moyen propre à en établir la date de réception, une mise en demeure lui enjoignant de prendre toute mesure de nature à empêcher l'accès des mineurs au contenu incriminé. » Après un délai de quinze jours, et en l’absence de réponse ou en cas d'inexécution de l'injonction, c’est-à-dire « si le contenu reste accessible aux mineurs », le président du CSA peut saisir le président du tribunal judiciaire de Paris aux fins d'ordonner l’interdiction d’accès au service en application de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004. Le tribunal peut également interdire son référencement par un moteur de recherche ou un annuaire.
Autrement dit, à défaut de mettre en place un contrôle efficace de l'âge des internautes, une décision de blocage des sites par les FAI pourra être ordonnée par la justice. Une mesure qui pourrait se faire par DNS (Domain Name Service) - un serveur spécial qui fait correspondre un nom de serveur à une adresse IP - avec une redirection automatique vers une page d'information du CSA expliquant la raison du blocage.
Pour sa part, le décret du 7 octobre 2021 précise simplement les modalités de réalisation de la mise en demeure, et indique que le président du CSA doit « tenir compte du niveau de fiabilité du procédé technique mis en place [...] afin de s'assurer que les utilisateurs souhaitant accéder au service sont majeurs » en se référant à « des lignes directrices » qu’il peut établir après avoir avoir consulté l'autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, ainsi que la commission nationale de l'informatique et des libertés. Autant dire que la réalisation de l’intention exprimée par le Président de la République en 2017, n’est pas pour demain...
Rappelons en effet que le 25 novembre 2017, dans un discours prononcé à l'occasion de la journée internationale contre les violences faites aux femmes, le Président de la République avait constaté et regretté la facilité pour les enfants d'accéder aux contenus à caractère pornographique ou violent, notamment sur Internet. Souhaitant mieux en réguler l'accès dès 2018, Emmanuel Macron avait promis d’étendre les pouvoirs du CSA afin qu'il puisse exercer « un contrôle indispensable sur tous les contenus qui peuvent fragiliser ou conduire à la violence, en particulier contre les femmes ».
Notons aussi que le 20 février 2018, le British Board of Film Classification (BBFC) avait été chargé par le gouvernement britannique, conformément au Digital Economy Act 2017, de vérifier que les services commercialisant des contenus pornographiques sur Internet s'assurent bien l'âge de leurs utilisateurs. En raison du non-respect de la procédure de notification prévue par la directive (UE) 2015/1535, les nouvelles mesures ont alors été retardées d'environ six mois, les États membres devant informer la Commission de tout projet de règle technique avant son adoption. Ce que devra donc également faire le gouvernement français.
Finalement, confronté à des difficultés techniques de mise en œuvre, Nicky Morgan, la secrétaire d'État britannique au Numérique, à la Culture, aux Médias et aux Sports, avait dû renoncer au contrôle des internautes au Royaume-Uni pour le porno en ligne, au mois d’octobre 2019.