Après plus de six mois de travaux, la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, a présenté à la presse, le 28 septembre 2022, un rapport sur l'industrie de la pornographie intitulé Porno : l’enfer du décor, un « tableau sombre » - comme la couverture du rapport - destiné à « alerter le gouvernement et l’opinion publique sur les violences massivement perpétrées et véhiculées par et dans l’industrie pornographique, ainsi que sur les représentations sexistes, racistes, homophobes et inégalitaires que promeut aujourd’hui ce business mondial du sexe ».
Les sénatrices Annick Billon (UDI), Alexandra Borchio Fontimp (LR), Laurence Cohen (PCF) et Laurence Rossignol (PS), les auteurs du rapport de près de 200 pages, « s’alarment tout particulièrement de l’accès facilité, démultiplié et massif des mineurs et des adultes à des contenus pornographiques de plus en plus violents et toxiques », en violation de l’article 227-24 du Code pénal, un sujet qui, rappelons-le, a déjà été confié à l’Arcom par le législateur, et fait actuellement l’objet d’un contentieux devant le tribunal judiciaire de Paris.
Constatant que « les violences sexuelles, physiques et verbales sont massivement répandues dans le porno, revêtant un caractère systémique », qu’« elles ne sont pas simulées mais bien réelles pour les femmes filmées », que les impacts « sur la jeunesse sont nombreux et inquiétants (traumatismes, troubles du sommeil, de l’attention et de l’alimentation, vision déformée et violente de la sexualité, difficultés à nouer des relations avec des personnes du sexe opposé, (hyper) sexualisation précoce, développement de conduites à risques ou violentes, etc) » comme ceux sur « les adultes, leurs représentations d’eux-mêmes, des femmes et de la sexualité », les rédacteurs du rapport appellent à une véritable « prise de conscience de toutes et tous sur ces violences systémiques et à mettre un terme au déni et à la complaisance dont bénéficie encore l’industrie du porno », et formulent une vingtaine de recommandations pour « lutter contre les violences pornographiques et leurs conséquences » :
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Faire de la lutte contre les violences pornographiques et la marchandisation des corps une priorité de politique publique.
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Faire des violences sexuelles commises dans un contexte de pornographie un délit d’incitation à une infraction pénale (viol ou agression sexuelle).
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Imposer aux sites pornographiques des messages d’avertissement, concernant des contenus violents, précisant qu’il s’agit d’actes sexuels non simulés, pouvant constituer des infractions criminelles ou délictuelles.
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Favoriser l’émergence de plaintes des victimes de violences commises dans un contexte de pornographie en améliorant leurs conditions d’accueil, en formant les forces de l’ordre au recueil de plaintes de ces victimes spécifiques et en instaurant le suivi de leur dossier par un contact unique.
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Adapter au contexte spécifique des violences pornographiques les conditions d’écoute et d’accueil du numéro national 3919 dédié à la prise en charge de femmes victimes de violences.
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Traduire dans les effectifs et les moyens matériels des services enquêteurs et des magistrats la priorité donnée à la lutte contre les violences commises dans un contexte de pornographie.
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Imposer aux diffuseurs, plateformes comme réseaux sociaux, des amendes face à toute diffusion de contenu illicite.
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Assortir systématiquement les condamnations à l’encontre de producteurs de contenus pornographiques d’une disposition indiquant que toute diffusion des vidéos incriminées, sur tout support, est illégale.
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Créer une catégorie « violences sexuelles » dans les signalements à Pharos afin de faciliter et de mieux comptabiliser les signalements.
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Imposer aux plateformes de satisfaire gratuitement aux demandes de retrait de vidéos formulées par les personnes filmées, et non plus par les seuls propriétaires de vidéos.
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Assermenter les agents de l’Arcom afin de leur permettre de constater eux-mêmes les infractions des sites pornographiques accessibles aux mineurs.
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Confier à l’Arcom la possibilité de prononcer des sanctions administratives, aux montants dissuasifs, à l’encontre des sites pornographiques accessibles aux mineurs.
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Imposer aux sites pornographiques l’affichage d’un écran noir tant que l’âge de l’internaute n’a pas été vérifié.
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Définir, dans les lignes directrices de l’Arcom, des critères exigeants d’évaluation des solutions techniques de vérification de l’âge.
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Imposer le développement de dispositifs de vérification d’âge ayant vocation à servir d’intermédiaire entre l’internaute et les sites consultés, avec un système de double anonymat comme proposé par le PEReN et la CNIL.
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Établir un processus de certification et d’évaluation indépendant des dispositifs de vérification d’âge.
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Activer par défaut le contrôle parental, lorsqu’un abonnement téléphonique est souscrit pour l’usage d’un mineur.
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Mener une campagne de communication autour des dispositifs de contrôle parental.
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Au niveau de chaque académie, publier une évaluation annuelle de l’application de la loi relative à l’éducation à la vie sexuelle et affective et désigner un délégué académique à l’éducation à l’égalité et à la sexualité.
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Aborder dans le cadre des séances d’éducation à la vie sexuelle et affective les sujets relatifs à la marchandisation des corps et à la pornographie.
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Recruter des professionnels de santé, formés en matière d’éducation à la santé et de conduite de projet, dans les établissements scolaires.
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Faire connaître, dans les établissements scolaires et directement sur les réseaux sociaux utilisés par les adolescentes et les adolescents, les ressources accessibles pour répondre à leurs questions en matière de sexualité.
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Sensibiliser les parents et mener une campagne de communication autour de la plateforme jeprotegemonenfant.gouv.fr.
Si de nombreuses associations féministes soulignent la qualité du travail réalisé par les sénatrices, les professionnels de l’industrie pornographique souhaitent nuancer les conclusions du rapport. Ainsi pour Grégory Dorcel, la nécessaire défense des victimes ne doit pas conduire à une « généralisation abusive » ou à une « caricature » : « Les victimes doivent être crues et entendues, et la justice doit faire son travail. Mais attention aux amalgames entre des criminels, qui doivent être poursuivis, et l’industrie porno dans son ensemble. »
Et après ?
La première chose qui étonne vraiment, au-delà même d'un titre à charge et d'un sommaire qui confirme dans sa construction un verdict sans appel livré dès l'introduction - notons que le rapport n'a pas de conclusion(s) -, est sans doute la très grande imprécision des arguments qui finalement s'appuient sur très peu de données sociologiques, scientifiques et juridiques actualisées.
On ne trouve aucune bibliographie, même sélective, parfois quelques références dans le corps du texte, ici et là, mais quasiment aucune note de bas de page. Seuls sont proposés des développements souvent incomplets et parcellaires, notamment pour la "partie" consacrée au cinéma et à la télévision, évacuée en deux ou trois paragraphes.
L'examen des systèmes étrangers manque de rigueur et de perspicacité, notamment pour la situation au Royaume-Uni dont l'exposé s'arrête, tout net, en 2019 alors que les débats se poursuivent depuis 2020 et que des évolutions sont intervenues en 2022. Les amalgames sont fréquents et, parfois, des raccourcis étonnants, confondant industrie pornographique et proxénétisme. Les auteurs ne s'interrogent pas sur la légalité d'une industrie autorisée et même taxée par la loi. Des chercheurs importants ont été oubliés, tel le sociologue Mathieu Trachman dont le livre-référence Le travail pornographique (2013) n'est pas cité.
Au final, le rapport parlementaire semble pré-orienté et malheureusement surfait.
Le rapport complet : ICI.