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CENSURE & CINEMA

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Collection Darkness, censure et cinéma


Torture Porn : jusqu'au bout de l'horreur

Publié par darkness-fanzine.over-blog.com sur 20 Avril 2016, 14:09pm

Catégories : #pascal françaix, #torture porn, #postmoderne, #livre, #rouge profond, #cinéma, #horreur, #extrême

Les éditions Rouge Profond n'en finissent pas de nous surprendre. Avec Torture Porn, l'horreur postmoderne, le dernier livre de Pascal Françaix que l'on connaissait déjà romancier avec Les Mères noires publié en 1998 chez Denoël, Guy Astic - qui dirige la très belle collection « Débords » - nous propose un ouvrage de grande qualité entièrement consacré à un sous-genre cinématographique tout autant décrié qu'il fascine. L'histoire de « l'extrêmisation des thématiques et de la violence propres au cinéma d'horreur »1 racontée sur près de 300 pages criblées de références et d'exemples précis que l'auteur a choisi de classer par grands chapitres.

Qu'est-ce que le torture porn, et d'où vient cette expression ?

La large distribution et le succès au box office des films Saw (2004, James Wan), Hostel (2005, Eli Roth), ou encore Wolf Creek (2005, Greg McLean), qui tous décrivent la douleur et la torture d'êtres humains soumis au bon vouloir sadique de leurs tortionnaires, riches ou culs-terreux, dérangent intrinsèquement une bonne partie de la presse américaine tel David Edelstein qui, dans un article publié dans le New York Magazine en 20062, s'insurge contre la démocratisation de la monstruosité en qualifiant pour la première fois de « torture porn » cette subdivision contestée d'un nouveau cinéma d'horreur dont les fleurons, aux budgets un peu trop confortables, mis à l'affiche des multiplexes aux côtés de comédies populaires ou des derniers films d'animation des studios Pixar, tendent à banaliser à l'écran et aux yeux du public un étalage jugé complaisant de souffrances physiques particulièrement éprouvantes. Une stigmatisation médiatisée en partie comparable à celle opérée par Peter Chippendale dans le Sunday Times lequel, en décembre 1981, utilisait pour la première fois le terme de « nasties » pour qualifier les fruits dégénérés d'une industrie nauséeuse, soucieux de dénoncer sur la place publique l'influence néfaste et avérée des films de cannibales et de tueurs en série sur le comportement des plus jeunes, disponibles en VHS et sans restrictions dans la totalité des vidéo-clubs du Royaume-Uni3.

Paradoxalement, si la critique cinématographique reconnaît aujourd'hui aux slashers des qualités qu'elle leur déniait il y a trente ans, dont la délicatesse scénaristique de punir de mort violente les psychopathes et les assassins sanguinaires, elle condamne avec la plus grande sévérité la gratuité morbide des torture porn, Edelstein allant même jusqu'à comparer le jaillissement du sang qu'ils inspirent au spasme de l'éjaculation mécanique du spectateur-voyeur confronté à des images destinées à éveiller ses instincts les plus vils. L'excitation provoquée par les corps pénétrés par les lames ou les sexes est mise dans le même sac, et permet à ses détracteurs de pointer du doigt une violence sans morale en la positionnant au rang de la pornographie, amalgamant pour l'occasion les films proposant des scènes de violence simulée à ceux contenant des scènes de sexe non simulées4. Une confusion entretenue par les propos du réalisateur Eli Roth revendiquant à la sortie d'Hostel, sur fond d'humour et de provocation, une intention consciente et assumée de mélanger sexe et violence. Torture et pornographie seraient donc à la base d'un nouveau sous-genre, « un cinéma phallocentrique convoquant les pulsions sado-voyeuristes du spectateur mâle » pour reprendre la théorie de Laura Mulvey5, citée par l'auteur.

Le torture porn est-il si nouveau ?

Au début des années soixante, Hershell Gordon Lewis inaugure le régime gore de l'image avec Blood Feast (1963), alliant la « transgression de l'interdit des corps sexués à celle, plus primordiale encore, des interdits entourant la mort et le meurtre »6. Un film charnière, devenu culte, qui annonce ce que Tom Wolfe baptise en 1967, l'ère de la pornoviolence7. Renvoyant brutalement à son animalité, le torture porn déshumaniserait donc l'Homme portant de ce fait une atteinte certaine à sa dignité. Ce qu'en France, les pouvoirs publics veulent absolument limiter, le Conseil d’État estimant le 11 mai 2015 que l'interdiction aux moins de 16 ans du film Saw 3D : chapitre final (2010, Kevin Greutert) était insuffisante, alors même que la cour administrative d'appel de Paris avait précédemment admis la régularité d'une telle restriction considérant que « si des personnages sont soumis à des jeux et tués dans des conditions particulièrement atroces, ces scènes de très grande violence suivaient [...] les codes propres à la mise en scène des films d’horreur dits gore [...] leur caractère outrancier » permettant aux spectateurs de plus de 16 ans de relativiser « la représentation très réaliste des sévices infligés ». Un raisonnement cohérent, pourtant écarté d'un revers rhétorique par le Conseil d’État pour lequel les « nombreuses de scènes de très grande violence, filmées avec réalisme et montrant notamment des actes répétés de torture et de barbarie » ne pouvaient conduire le ministre qu'à interdire le film à tous les mineurs8. Le torture porn est donc bien plus dangereux que le film gore. Un raisonnement également soutenu par le British Board of Film Classification (BBFC) lequel va encore plus loin, en interdisant purement et simplement des films comme Grotesque (2010, Kôji Shiraishi) ou The Bunny Game (2012, Adam Rehmeier) en raison d'une absence totale de « développement narratif et psychologique » suffisant pour justifier les scènes intenses. Là encore, la gratuité des séquences d'humiliation et de torture est sévèrement condamnée.

Le torture porn est-il dépourvu de tout message ?

Pascal Françaix explique avec méthode que « le torture porn représente une étape significative dans la constitution d'un cinéma postmoderne » en ce sens qu'il bouleverse les standards habituels, marqué par le refus des conclusions univoques, le rejet des théories basées sur la perfectibilité de l'Homme9. L'alibi politique est alors exploré sur plusieurs pages, comme l'a fait Laurent Aknin en 201210 en parlant des exactions perpétrées par certains soldats américains en Irak, et Pascal Françaix d'illustrer cette idée forte en évoquant une réaction à « la légitimation de la torture par le gouvernement Bush dans la lutte contre le terrorisme » après le 11 septembre, alimentée par « un sentiment global de scepticisme »11 envers les valeurs fondatrices de l'Amérique. Une idée particulièrement présente dans les franchises Hostel mais aussi Saw dans laquelle les prisonniers de Jigsaw sont invités à mutiler, à s'automutiler voire même à tuer pour espérer sauver leur propre vie. La justification/critique de la torture à des fins supérieures, donc légitimes.

Par ailleurs, si l'analogie discursive faite avec Salò ou les 120 journée de Sodome (1975, Pier Paolo Pasolini) permet également de mieux percevoir la « critique d'un corps politique à travers la représentation de l'abjection, et l'expression d'un nihilisme universel », qualifiée synthétiquement « d'esprit réactionnaire » par Christopher Sharrett dans un article de 200912, il est toutefois difficile d'attribuer une telle justification à certaines œuvres insoutenables disséquées par l'auteur à la fin de son ouvrage, lesquelles ne sont bien évidemment pas distribuées en salles13. Et pour cause. L'étude de ces films d'une extrême sauvagerie, tels les délires des trilogies Vomit Gore de Lucifer Valentine, ou encore August Underground de Fred Vogel, contribue pourtant à caractériser le torture porn dans ce qu'il a parfois de plus abject, certains critiques choisissant alors de les assimiler à une forme d'art transgressif propre au cinéma expérimental. Une représentation de l'abjection qui lorgne du côté du cinéaste Otmar Bauer lequel proposait déjà en 1969 (Zeigt Vomi-Action, et Unverschamtheit im Grunewald) des images explicites de scatophilie et d'hommes vomissant puis mangeant des déjections humaines encore tièdes. De l'art ou de la déviance ?

Le torturn porn n'est pas qu'un divertissement malsain

Pascal Françaix s'emploie donc à parcourir tous les méandres d'un sous-genre volontairement subversif, allant jusqu'à explorer l'impact de sa représentation sexuée, examinant la place réservée à la femme, victime sexuelle ou bourreau sexiste, laquelle permet bien souvent de matérialiser par la symbolique des actes violents les conflits entre les deux sexes jusqu'à la rupture. Un rapport à la mort décrypté au travers la lecture de L’œuvre de François Rabelais de Mikhail Bakhtine pour lequel « le début et la fin de la vie sont indissolublement imbriqués ». Un concept que l'on désigne sous l’appellation de réalisme grotesque qui semble convenir au torture porn dont certains films en font une application stricte : « La quête de l'horreur ultime n'est pas incompatible avec une démarche artistique et productive ; cette visée, lorsqu'elle est assumée, fait partie intégrante de l’œuvre. En d'autres termes, la valeur d'un film d'horreur n'est pas nécessairement étrangère à révulser le public. » Une révélation essentielle qui permet au lecteur d'avancer dans la compréhension du sujet.

Le livre de Pascal Françaix ouvre les tiroirs d'un cinéma pas comme les autres et qui, au terme de développements captivants, richement illustrés par la description et l'analyse de films aux apparences parfois trompeuses, nous amène finalement à en douter. Torturn porn ravira les universitaires et les cinéphiles curieux d'en savoir davantage sur la représentation des extrêmes à l'écran.

1Entretien avec Pascal Françaix réalisé le 8 déc. 2015 pour la revue La Septième Obsession n°3, fév.-mar. 2016, repris le 12 fév. 2016 in extenso sur le site www.alphaville60.overblog.com/2016/02/torture-porn-l-horreur-postmoderne.html.

2David Edelstein, « Now Playing at Your Local Multiplex: Torture Porn », New York Magazine, 6 fév. 2006, www.nymag.com/movies/features/15622 cit. in Torture porn, l'horreur postmoderne, Pascal Françaix, Rouge Profond, 2016, p. 8.

3Christophe Triollet, « Video Nasties Story », Darkness Fanzine n°16, Sin'Art, déc. 2015, p. 7.

4Au Royaume-uni, toute représentation d'actes sexuels non consensuels, simulés ou non, est susceptible d'entraîner l'interdiction d'exploitation d'un film. Ce fut le cas pour nf713 (2009, China Hamilton) et The Bunny Game (2012, Adam Rehmeier).

5Laura Mulvey, « Visual Pleasure and Narrative Cinema », Screen, n°16, 1975, cit. in Torture porn, Pascal Françaix, op. cit. p. 130.

6Christophe Triollet, « Le cinéma gore, c'est grave ? », Darkness Fanzine n°15, Sin'Art, déc. 2014, p. 10.

7Cité par Antonio Dominguez Leiva et Simon Laperrière in Snuff Movies, naissance d'une légende urbaine, Le Murmure, 2013, pp. 18-19.

8Christophe Triollet, « L'interdiction de Saw 3D aux moins de 18 ans : la fin des films gore en salles ? » in La censure au cinéma, 1er juin 2015, www.darkness-fanzine.over-blog.com/2015/06/l-interdiction-de-saw-3d-aux-moins-de-18-ans-la-fin-des-films-gore-en-salles.html.

9Entretien avec Pascal Françaix, op. cit.

10Laurent Aknin, Mythes et idéologie du cinéma américain, Vendémiaire, 2012.

11Entretien avec Pascal Françaix, op. cit.

12Christopher Sharrett, « The Problemof Saw: Torture Porn and the Conservatism of Comtempory Horror Film », Cineaste, vol. 35, n°1, hiver 2009, pp. 32-37, cit. in Torture porn, Pascal Françaix, op. cit. p. 70.

13Pascal Françaix distingue alors le torture porn mainstream, distribué dans les salles de cinéma traditionnelles, et le torture porn underground, commercialisé sur un marché plus confidentiel par de petits éditeurs de vidéos.

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