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CENSURE & CINEMA

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Collection Darkness, censure et cinéma


Réforme de la classification des films. L'analyse de Marc Le Roy avec nos quelques observations.

Publié par darkness-fanzine.over-blog.com sur 4 Mars 2016, 15:01pm

Catégories : #classification, #le roy, #darkness, #censure, #film, #cinéma, #mary, #rapport

Nous choisissons de reproduire l'article de Marc Le Roy intitulé « Réforme de la classification des films : des propositions décevantes » mis en ligne le 4 mars 2016 sur le site inaglobal.fr. Une analyse intéressante dont nous ne partageons pas toujours les conclusions. Nos observations apparaissent alors en italique gras dans l'article ci-dessous.

« Audrey Azoulay, la nouvelle ministre de la Culture et ancienne directrice générale déléguée du CNC, hérite d’une réforme brûlante touchant à la classification des œuvres cinématographiques.

En effet, la multiplication récente des recours portés avec succès par l’association Promouvoir, proche de l’extrême droite, contestant la classification – jugée trop souple – de plusieurs films sortis en salles (Love, Nymphomaniac, Saw 3D, La Vie d’Adèle…), démontre qu’il existe parfois une inadéquation entre le contenu des films et le visa attribué par le ministre sur proposition de la Commission de classification. Le juge administratif rappelle ainsi régulièrement que les visas octroyés ne respectent pas les textes visant à la protection de la jeunesse qui encadrent l’attribution des visas.

Estimant que les textes en question ne sont plus adaptés, l’ancienne ministre de la Culture, Fleur Pellerin, avait demandé au président de la Commission de classification, Jean-François Mary, de formuler des propositions visant à améliorer les textes concernant les interdictions des films aux mineurs de moins de 16 et de 18 ans. Ce rapport a été rendu le 29 février à Audrey Azoulay.

Il rappelle qu’entre 2010 et 2013 (curieusement le rapport ne donne pas de chiffres plus actuels), la Commission de classification a recommandé au ministre de la Culture d’interdire aux moins de 16 ans 38 films sur 3 900 visionnés (soit environ 1 %). Un seul film a fait l’objet d’une recommandation d’interdiction totale aux mineurs sur cette période, et 16 films ont été interdits aux moins de 18 ans depuis 2001. Ces statistiques font de la France un des pays les plus souples du monde en matière de classification. Que propose donc le rapport de Jean-François Mary ?

De nouveaux critères pour classer un film -16 ou -18 ans

La principale modification proposée par le rapport Mary porte sur une réécriture des textes réglementaires encadrant l’attribution des visas prévoyant une interdiction aux moins de 16 et 18 ans. M. Mary propose de revoir les fondements de l’interdiction aux moins de 18 ans. Un décret édicté en 2003 prévoit que cette restriction (créée en 2001) doit être attribuée aux films qui comportent « des scènes de sexe non simulées ou de très grande violence mais qui, par la manière dont elles sont filmées et la nature du thème traité, ne justifient pas une inscription sur la liste [des films"X"] ».

Le Conseil État est revenu, il y a peu, sur sa jurisprudence en considérant que ce texte impliquait qu’une œuvre qui contient des scènes de sexe non simulées devait en conséquence être classée X ou interdite aux moins de 18 ans.

Au vu de cette logique binaire, simpliste et peu adaptée à l’évolution des mœurs, M. Mary propose de modifier le décret de 2003 en prenant en compte la formule suivante : l’interdiction de la représentation aux mineurs de 18 ans est décidée « lorsque l'œuvre ou le document comporte sans justification de caractère esthétique des scènes de sexe ou grande violence qui sont de nature, en particulier par leur accumulation, à troubler gravement la sensibilité des mineurs, à présenter la violence sous un jour favorable ou à la banaliser ».

Le critère de la scène de sexe non simulée serait donc abandonné – ce qui a déjà été fait par le Conseil d’État (décision relative au film Love) qui retient aujourd’hui qu’une scène de sexe non « simulée » est en réalité une scène de sexe non « dissimulée ». La proposition de M. Mary met l’accent sur l’accumulation des scènes : plus les scènes de sexe seront présentes, plus le film aura de chances d’être interdit aux mineurs. Il en résulte qu’un film qui contient de telles scènes pourra être interdit aux moins de 16 ans si ces scènes ne sont pas trop nombreuses.

C’est cette position que retenaient les juges administratifs avant le récent changement de jurisprudence opéré par le Conseil d’État dans sa décision portant sur le film Love (voir par exemple les décisions relatives aux films Antichrist, Nymphomaniac, Le Pornographe…)

M. Mary propose également de modifier la référence opérée par le décret de 2003 aux scènes de « très grande violence » pour y substituer la notion tout aussi subjective de « grande violence » qui viserait « à présenter la violence sous un jour favorable ou à la banaliser ».

Cette dernière modification semble être une bonne solution pour limiter les interdictions aux mineurs en raison de la présence de scènes violentes à des cas marginaux. Si la solution est bonne, force est de constater que l’interdiction de films aux moins de 18 ans en raison de scènes violentes est déjà aujourd’hui plus que limitée. Seuls trois films ont été concernés depuis la création de l’interdiction aux moins de 18 ans en 2001 : Saw 3D, Saw 3 et Quand l’embryon part braconner.

Darkness : Sur ce point, nous pensons au contraire, que la « très grande violence » permet actuellement de préserver les films de genre, notamment les films d'horreur, d'une interdiction systématique aux moins de 18 ans. Il est ainsi admis qu'un film contenant des scènes de « grande violence » puisse être interdit aux seuls spectateurs de 16 ans. Si le libellé de l'interdiction aux moins de 18 ans évoluait pour viser plus largement les films contenant des scènes de « grande violence » et non plus seulement les films contenant des scènes de « très grande violence », il y a tout lieu de craindre que les films d'horreur aujourd'hui interdits aux mineurs de 16 ans (tel le premier Saw, par exemple) soient demain automatiquement interdits aux moins de 18 ans.

La proposition la plus audacieuse du rapport rendu par M. Mary réside dans la formulation suivante : les interdictions aux moins de 18 ans seront prononcées uniquement si « l'œuvre ou le document comporte sans justification de caractère esthétique (c’est nous qui soulignons) des scènes de sexe ou grande violence ». Le « caractère esthétique » d’un film pourrait donc justifier une absence d’interdiction aux moins de 18 ans alors même que le film contiendrait une accumulation de scènes de sexe ou de violence. On peut donc imaginer qu’une justification « esthétique » (faut-il comprendre artistique ?) pourrait permettre à un film d’échapper à une interdiction aux mineurs. Le caractère esthétique d’une image ou d’une scène implique-t-il qu’un mineur ne sera pas choqué par cette scène ou cette image ?

Cette solution n’est pas mauvaise, mais il ne semble pas évident de distinguer les films au caractère « esthétique » des autres. La chose est bien subjective. Pour preuve : Saw 3D a-t-il ce caractère esthétique ? Love a-t-il ce caractère esthétique ? Antichrist ou Nymphomaniac ont-il ce caractère esthétique ? À forcer le trait on peut même affirmer que certains films pornographiques ont eu aussi un caractère esthétique. L’objectif des visas d’exploitation reste la protection des mineurs contre les images qui ne leurs sont pas adaptées : le caractère esthétique d’une image ou d’une scène implique-t-il qu’un mineur ne sera pas choqué par cette scène ou cette image ? La réponse est loin d’être évidente.

La solution la plus efficace reste à nos yeux la suppression pure et simple de l’interdiction aux moins de 18 ans, à l’image de ce qui se pratiquait en France avant 2001. C’est la solution retenue par les Pays-Bas (le rapport Mary ne contient malheureusement aucune ligne consacrée au droit comparé). La ministre de la Culture pourrait alors interdire un film aux moins de 12 ans, 16 ans ou le classer X. Les films les plus violents ou contenant de nombreuses scènes de sexe seraient alors interdits aux moins de 16 ans. Les films X resteraient comme aujourd’hui les films à vertu masturbatoire.

Darkness : Cette proposition séduisante suppose une évolution de la jurisprudence du juge administratif lequel, rappelons-le, avait expliqué en 2000 à propos de Baise-moi qu'à défaut d'interdiction aux moins de 18 ans (supprimée en 1990 par Jack Lang alors ministre de la Culture) le film aurait dû être classé X pour sauvegarder les mineurs et ainsi se conformer aux dispositions de l'article 227-24 du Code pénal. Dès lors, la suppression de l'interdiction aux mineurs – sauf pour les films à caractère pornographique ou incitant à la violence – risquerait de mettre en difficulté le ministre et la Commission, en conduisant le juge à faire un rappel à la loi. Pour notre part, la piste d'une interdiction aux moins de 18 ans, sans aucun critère, à l'instar des interdictions aux moins de 12 et 16 ans, nous semble une meilleure solution, à la condition de modifier aussi l'article 227-24 du Code pénal.

Le rapport Mary objecte que la suppression de la restriction aux mineurs de 18 ans exposerait davantage les professionnels au risque de poursuites pénales, sur le fondement de l’article 227-24 du Code pénal. Cette affirmation est inexacte. Jusqu’à aujourd’hui, personne n’a, à notre connaissance, été condamné sur le fondement de cet article en raison d’un film violent ou contenant des scènes de sexe. Cette suppression d’ordre réglementaire du décret de 2001 n’imposerait en conséquence aucune modification législative de l’article 227-24.

Darkness : Si le juge judiciaire n'a pour le moment condamné aucune personne physique ou morale pour le contenu d'un film cinématographique sur le fondement de l'article 227-24 du Code pénal, le juge administratif s'y réfère pour justifier son interdiction aux mineurs. La première fois en juin 2000 à l'occasion de l'affaire Baise-moi (Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi) : « […] le film Baise-moi est composé pour l'essentiel d'une succession de scènes de grande violence et de scènes de sexe non simulées, sans que les autres séquences traduisent l'intention, affichée par les réalisatrices, de dénoncer la violence faite aux femmes par la société ; qu'il constitue ainsi un message pornographique et d'incitation à la violence susceptible d'être vu ou perçu par des mineurs et qui pourrait relever des dispositions de l'article 227-24 du code pénal ; que, par suite, dès lors que les dispositions de l'article 3 du décret du 23 février 1990 susvisé ne prévoient pas qu'une œuvre cinématographique puisse être interdite de représentation aux mineurs de moins de dix-huit ans autrement que par son inscription sur la liste des films pornographiques ou d'incitation à la violence soumis aux dispositions des articles 11 et 12 de la loi du 30 décembre 1975 portant loi de finances pour 1976, le film relevait de l'inscription sur cette liste [...] » (Conseil d'Etat, section, du 30 juin 2000) Dans sa décision du 25 novembre 2009 relative à l'annulation du visa d'exploitation du film Antichrist (2009, Lars von Trier) l'article 227-24 du Code pénal est également visé par le juge administratif, tout comme le Code pénal dans l'arrêt rendu le 30 septembre 2015 à propos du film Love (2015, Gaspar Noé).

Interdire des films aux -14 ans

Le rapport (pp. 23-25) retient la création d’une nouvelle interdiction pour les mineurs de moins de 14 ans. Pour le moment il est possible de restreindre l’accès aux salles aux mineurs de 12, 16 ou 18 ans. Le rapport propose d’ajouter une interdiction aux trois existantes pour les mineurs de moins de 14 ans.

Cette solution nous semble une très mauvaise idée dans le mesure où sera créée une nouvelle difficulté pour la commission de classification, le ministre et enfin les juges : comment distinguer un film interdit aux moins de 14 ans d’un film interdit aux moins de 12 ou 16 ans ? Sur ce point, le rapport ne propose donc pas une simplification mais une nouvelle complexité dans laquelle ne manquera pas de s’engouffrer l’association Promouvoir qui réclame régulièrement aux juges l’attribution du visa le plus adapté. La création d’une nouvelle interdiction entraînerait de facto une multiplication des contentieux. N’est-ce pas précisément ce que l’on cherche à éviter ?

Une accélération de la procédure en trompe l’œil

Le rapport rendu par M. Mary se fait l’écho des revendications légitimes des professionnels qui considèrent que les procédures devant la justice administrative sont trop longues et inadaptées à l’exploitation des films en salles (p. 26 et suivantes).

S’il est normal qu’une décision administrative puisse être contestée dans un État de droit, il est vrai qu’une procédure au fond devant une juridiction administrative prend en général entre 12 et 24 mois. Le problème n’est pas propre au contentieux des visas mais concerne l’ensemble des procédures devant la justice administrative, ce qui illustre un problème de budget de ces juridictions. Il existe pour autant des procédures d’urgence (référés) souvent applicables en matière de contentieux de visa où le juge statue provisoirement (la décision d’urgence vaut jusqu’à ce que le juge statue au fond) en quelques semaines voire quelques jours.

Afin de répondre à cette problématique, le rapport Mary propose sans grande conviction de supprimer l’appel (c’est déjà le cas par exemple pour le contentieux du permis de conduire à points) dans le cadre de la procédure au fond (il n’y en a pas en matière d’urgence en l’espèce) pour permettre uniquement une cassation devant le Conseil d’État.

Si cette proposition était retenue, cela n’empêcherait par les tribunaux administratifs de rendre leurs décisions au fond plus d’un an après le dépôt de recours et le Conseil d’État d’intervenir dans les mêmes délais en cas de recours en cassation. Il n’est pas certain que cela convienne aux organisations professionnelles qui réclamaient une accélération des procédures.

Darkness : Notons aussi que certains professionnels sont, au contraire, très satisfaits de la lenteur actuelle de la justice, car hormis le cas de la procédure d'urgence en référé, les délais de la procédure permettent au film attaqué de suivre une carrière normale d'exploitation en salles.

La solution serait de réattribuer (c’était déjà le cas avant l’édiction d’un décret de 2010) le contentieux des visas d’exploitation à un juge unique (le Conseil d’État) qui statue en premier et dernier ressort. Le Conseil d’État serait alors la seule juridiction à statuer sur le contentieux des visa en urgence et au fond. Cette solution permettrait d’être fixé une fois pour toute sur l’avenir d’un film sans avoir à attendre un appel ou une cassation.

Au final, le rapport rendu par Jean-François Mary s’avère décevant et peu ambitieux. L’instabilité récente de plusieurs classifications de films imposait des solutions plus significatives. La ministre de la culture qui a longtemps travaillée au CNC aura peut-être à cœur de mettre en place une réforme plus radicale… »

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B
Sur l'article 227-24 du CP, il est vrai que le juge judiciaire n'a jamais condamné pour le contenu d'oeuvre cinématographique. Cependant, dans un arrêt du 19 janvier 2005, la chambre criminelle de la cour de cassation relève que, à propos du film « le pornographe », « alors qu’une scène de pornographie, surtout d’une durée de cinq minutes, qu’elle incite ou non tel ou tel spectateur à la débauche, n’en constitue pas moins, dans tous les cas, un message pornographique visé par l’article 227-24 du Code pénal ». Elle n'a pas condamné seulement parce que l'élément intentionnel n'était pas caractérisé car le prévenu, n'ayant pas prévisionné le film, s'était basé sur la classification d'interdiction au moins de 16 ans pour le montrer à un mineur de 16 ans.
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D
Merci pour cette précision fort utile. La cour de cassation a donc une approche identique à celle du Conseil d’État en 2000 dans l'arrêt Baise-moi, dont je cite les considérant.

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