Mis à jour le 9 août 2015.
Contrairement à ce que l'on peut lire ici et là sur Internet, le juge des référés du tribunal administratif de Paris n'a pas - a priori - rendu une décision sur la morale, et encore moins pris position en faveur des idées conservatrices de l'association requérante. L'ordonnance du 31 juillet 2015 se borne à faire un point du droit actuel pour ensuite l'appliquer au contenu du film. Oui, mais l'interprétation des textes par le juge administratif est-elle parfaitement juste ?
L'ordonnance de référé du juge Bourgeois, tant commentée ces derniers jours, a suspendu le visa du ministre délivré pour Love en tant qu'il n'interdit pas le film à tous les mineurs, celui-ci contenant indiscutablement de "très nombreuses scènes de sexe non simulées" comme la ministre l'a précisé elle-même - en reprenant le dernier avis de la Commission de classification -, dans un courrier adressé à Wild Bunch le 6 juillet dernier :
« Interdiction aux mineurs de moins de seize ans assortie d’un avertissement en raison des très nombreuses scènes de sexes non simulées. Toutefois, l’intention narrative de l’auteur qui dépeint une histoire d’amour intense et la force du lien créé entre les deux principaux personnages, autant que l’humanité de leur relation, ne fait pas de doute pour le spectateur. »
Saisi par l'association Promouvoir le 16 juillet 2015, et après avoir assisté à la projection du film en 3D organisée au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) le 30 juillet, le juge des référés a constaté l'existence des séquences incriminées et examiné leur contenu. Il a ensuite regardé la loi et observé que :
1 - L'article 227-24 du Code pénal interdit qu'un mineur puisse avoir accès à un "message" à caractère pornographique : pour le constater, le juge prend la peine de décrire chacun des plans litigieux les qualifiant de "particulièrement explicites" ;
2 - Les articles L.311-2 et R.211-12-5° du Code du cinéma et de l'image animée disposent qu'un film pornographique doit être interdit aux mineurs de 18 ans : ce qui n'est pas le cas ici, le juge expliquant que malgré les nombreuses "représentations sexuelles" dans Love, la volonté artistique du cinéaste et leur place dans le scénario ne font pas pour autant du film une œuvre à caractère pornographique ;
3 - L'article R.211-12-4° du Code du cinéma prévoit la possibilité d'interdire aux moins de 18 ans une œuvre ou un document qui comporte "des scènes de sexe non simulées ou de très grande violence mais qui, par la manière dont elles sont filmées et la nature du thème traité, ne justifient pas" une classification sur la liste des films à caractère pornographique.
Après avoir fait le tour de l'arsenal juridique, le juge a estimé que le film entrait dans la troisième catégorie et qu'ainsi, il devait être interdit aux moins de 18 ans sans pour autant être qualifié de film pornographique. Une application du droit qui n'a donc rien à voir avec la morale. Malgré tout, une difficulté subsiste...
Sur la base de l'article 227-24 du Code pénal, la diffusion d'un "message [...] pornographique" est punissable s'il est "susceptible d'être vu ou perçu par un mineur". C'est bien après avoir visé cet article que le juge a décidé, d'emblée, que Love devait être interdit aux spectateurs de moins de 18 ans et ce, pour ne pas tomber sous le coup de la loi. Sauf que la loi pénale vise uniquement les messages pornographiques (sans toutefois les définir). Or, dans sa démonstration, et après avoir détaillé le contenu des "scènes de sexe non simulées" qu'il qualifie pour l'occasion de "particulièrement explicites" (pour ensuite constater que la ministre a commis une erreur manifeste d'appréciation en n'interdisant pas le film aux moins de 18 ans), le juge des référés nous explique que, malgré tout, "les scènes précitées" ne sont pas "des scènes à caractère pornographique" (point 13 de l'ordonnance). Et c'est bien là qu'une faille peut être décelée, car si l'ordonnance ne définit pas ce que sont des scènes pornographiques, le juge affirme malgré tout que les "scènes de sexe non simulées" de Love n'en sont pas ! Dès lors, l'article 227-24 du Code pénal qui sanctionne les messages pornographiques susceptibles d'être vus ou perçus par un mineur, ne s'applique pas si l'on en croit la démonstration du juge administratif.
Par conséquent, si la ministre pouvait effectivement appliquer l'article R.211-12-4° du Code du cinéma en interdisant le film aux moins de 18 ans sans pour autant le classer X, ce que personne ne conteste, rien ne l'obligeait non plus à le faire, puisque l'application de l'article 227-24 du Code pénal est écartée par le juge dans son ordonnance. Indiquons à l'appui de notre théorie que, lorsqu'il cite la nature des messages visés par l'article 227-24 (au point 15 de l'ordonnance), M. Bourgeois "omet" de mentionner les messages "pornographiques", se contentant de rappeler qu'il lui appartient "de rechercher si les scènes en cause sont ou non de nature à caractériser l’existence de scènes de sexe non simulées"... Le juge aurait-il également perçu l'instabilité juridique sur laquelle repose toute cette affaire ? Peut-être que non, ce dernier reprenant en grande partie les attendus du Conseil d’État dans l'affaire Saw 3D qui ne visait évidemment pas sur ce point, les messages à caractère pornographique.
En conclusion, il semble donc que la ministre pouvait ne pas appliquer l'article R.211-12-4° du Code du cinéma - les scènes litigieuses n'étant pas pornographiques, selon le juge - en choisissant de classer Love aux seuls mineurs de 16 ans - ce qu'elle justifie dans son avis - et ce, sans que l'article 227-24 du Code pénal ne puisse lui être opposé.